LETTRE D’Epsilon À ALEXANDRE LE GRAND, CONTENANT L’ENTRETIEN D’HÉRACLITE, DEMOCRITE ET EPHESTION SUR LA NATURE ET SES EFFETS
Traduite sur l’original grec, qui est dans la bibliothèque du Grand Seigneur
Je ne saurais différer plus longtemps à vous faire-part de ce qui vient de m’arriver à Ephèse, où je travaillais à l’affaire importante pour laquelle vous m’aviez envoyé négocier, et que je n’ai encor pu terminer à cause des grosses difficultés qui y sont survenues.
Comme elles me donnaient quelques heures d’intervalle, j’ay cru ne les pouvoir miens employer, qu’à aller voir le philosophe4 Héraclite, me doutant bien que je trouverais quelque chose d’extraordinaire en lui, puisque tout le monde en faisait un si grand cas : ma visite l’a fort étonné, parce qu’il n’aime pas à se communiquer, et après quelques compliments de part et d’autre, je lui donnai quelque envie de contentera ma curiosité, sur l’étude de la nature, ce qui fait son unique plaisir.
Mais étant accompagné de quantité de vos officiers, devant lesquels il ne voulait pas s’ouvrir, il me pria de les renvoyer jusqu’au soleil couchant, ce qui étant fait, nous entrâmes en plusieurs contestations sur lesquelles nous ne pûmes pas convenir, à cause de mon opiniâtreté, et de mon peu de savoir, de sorte que pour me convaincre avec plus de facilité, il me proposa d’aller dans un lieu plus convenable, me demandant si j’étais assez ferme pour soutenir les épreuves de sa conviction.
Je n’hésite pas un moment à m’abandonner à tout ce qu’il voulut, et ne pus m’empêcher de rire, lui voyant jeter en pleurant quelques verres d’eau en l’air, et y tracer plusieurs cercles, prononçant des paroles où je n’entendais rien.
Ensuite il m’embrassa me disant qu’il m’allait enlever en esprit en un lieu, qui n’était connu [p.1250] que des sages, et je me vis tout d’un coup transporté en une région qu’à peine puis je vous décrire, n’ayant jamais vu une pareille habitation.
Nous passâmes d’abord par-dessus une mer si orageuse qu’il y a peu d’humains qui en puissent trouver le passage, et nous arrivâmes au sommet d’une montagne élevée par-dessus la moyenne région de l’air.
Jet vis les quatre saisons qui règnent ici bas, elles y faisaient un aspect admirable, d’un coté je voyais le printemps embelli d’arbres et de fleurs, de l’autre l’été me charmait par la beauté de ses moissons, l’automne y regency par l’abondance de ses fruits, et l’hiver avec ses frimas glacés et neiges, couvrait une autre partie de la montagne, les oiseaux semblaient nous y féliciter par l’agrément de leur ramage.
Pendant que je considérais ces merveilles, on nous élève encor plus haut dans un endroit soutenu de quatre colonnes d’un marbre transparent et particulier, chaque colonne était mi partie de deux couleurs différentes, l’une était noire et blanche, l’autre bleue et verte, et la troisième jaune et rouge, la quatrirème était violette et pourpre.
Elles se joignaient tourtes par leur hauteur en une cinquième participante de toutes les couleurs des autres, d’où sortait une affluence d’eau immense, qu’elle distribuait à ses quatre flancs’, et les réunissait dans une mer qui environnait le lieu où nous étions.
Nous nous assîmes au milieu de ces sortes de terrasses, alors Héraclite me dît en versant des larmes, C’est ici où je prétends vous faire convenir des vérités dont je vous entretenais tantôt, et je vais vous y faire venir un tiers irréprochable, que vous ne sauriez refuser, c’est Démocrite si renommé dans les siècles passés.
En même temps il conjura les démons de l’air d’engager les mannes de Démocrite à paraître, à l’instant la montagne [p. 1251] trembla, l’air retentit d’éclairs et de tonnerres et ensuite le bruit cessant Démocrite parut, nous demandant pourquoi nous troublions son repos.
Héraclite lui dît, j’ay parlé à Ephestion de tes anciennes leçons, il faut que tu les lui confirme[s].
Ce dernier se mît à pleurer, et Démocrite prît la parole en riant. Vous parliez tantôt de la puissance de la nature, nous dît-il, sur la formation, accroissement, destruction et renouvellement de ses plus parfaits entres, vos sentiments étaient partagés, celui qui ne convenait pas de l’unité d’un principe s’éloignait de la vérité, puis qu’un seul être éternel, infini, suprême, indépendant, tout puissant, moteur incompréhensible de toutes choses, forme de tous temps en lui-même sa propre idée, qui est celle de toute perfection, et réfléchissant prend plaisir de la continuer. Il se forme alors du modèle au principe un retour d’amour, qui est un pur esprit de feue, qui quoique troisième en nombre n’est pourtant qu’un même et unique principe, lequel voulant se marier au dehors, tire de sa puissance les productions qu’il veut faire, auxquelles il imprime son caractère de trinité et d’unité, et pour avoir en elles u n modèle plus prochain de toutes ses perfections, il leur repend son esprit qui établit en elles une nature suprême en qui il épanche la fécondité de son feu, pour qu’elle en face de même en tous les êtres qui lui sont inférieurs.
C’est de cette nature sage et puissante que dérive la première matière, qui se divise en deus, et puis en trois, ensuite en quatre et de là en mille et mille diverses combinaisons tant matérielles que spirituelles.
Riez riez, nous dît-il, de tous les hommes, et Héraclite se mît à pleurer de leur ignorance.
Ensuite Démocrite nous dît, Le premier être après la nature est une quinte essence véritable, image de son principe de fécondité, puis qu’elle se glisse dans tous les êtres et en devient le premier principe, c’est en elle qu’ils se résolvent tous, et c’est elle qui par le mouvement qu’elle leur imprime, écrite en eus et y fomente la chaleur, [ p. 1252] qui est le second principe de leur vie, comme par contraire lors que quelque obstruction interrompt ce mouvement, le froid et l’humide s’emparent de toutes les parties du sujet.
Ainsi le premier composé se détruit et se dérange, parce que cette quinte essence ne pouvant plus circuler, cherche un nouveau passage pour se mouvoir d’une manière opposée : et pour y parvenir elle désassemble et sépare toutes les parties du premier sujet, pour s’unir avec elles en d’autres êtres qu’elle anime tout de nouveau, et ainsi à l’infini, cette quinte essence ne cesse jamais de se mouvoir ni de se communiquer à l’exemple de la nature qui l’a formée, et elle de son premier moteur, et lui à l’exemple de lui-même, qui ne cessant jamais de se connaître, ne cesse ni ne cessera jamais de s’aimer.
Riez, riez tous comme moi des faibles connaissances des hommes et de leur vanité, Héraclite en versait des larmes en abondance.
J’admirais les pensées de ce grand philosophe, lorsque reprenant le discours, il nous dît, que cette même quinte essence se partageait en deux, en massive et légère, la première se congelant peu à peu, son poids la précipite en bas, et l’autre se subtilisant toujours sa légèreté l’élève en haut, que ces deus parties ne sont pourtant jamais qu’une même chose, et conservent tellement l’envie de se réunir, que pour cet effet leur propre feu digère toujours par sa circulation les endroits les plus lourds de sa partie légère, qu’alors leur poids détachant précipite en bas, comme aussi leur propre et même feu central digère toujours par sa circulation les endroits les plus légers de sa partie massive, et qu’alors leur légèreté les détachant, les élève vers la partie supérieure, et de l’union qui se fait de ces deux parties précipitée et élevée, il s’en forme une troisième, qui est un milieu convenable à ces deus extrêmes, puis que c’est le rétablissement d’elle-même, et qui sait la connaître et la conduire jusqu’où elle peut aller, sera le possesseur de cette quinte essence qui le fera triompher du monde et de sa gloire, et se met à faire de grands éclats de rire.
Je voulus interrompre les larmes de [p.1253] Héraclite, et pour cela je le prie de m’expliquer l’effet de ce grand principe, pleurons pleurons dit-il la perte d’un si grand génie, et la faiblesse des hommes d’aujourd’hui.
J’étais interdit de la force des raisonnements, et de la conformité des opinions de ces deus grands hommes, lors que Démocrite prenant la parole, nous dît, que la troisième production de la nature était la division de cette première quinte essence en trois parties à savoir en liquide aqueuse, ou liquide huileuse ou en huileux sec, et la troisième en partie sèche et fluide de l’un et de l’autre de ces deus principes, tous les êtres qui sont dans le monde sont chacun composés de ces trois principes : et s’il est là bas quelque voile aux yeux qui couvre ce dernier principe, ce n’est qu’une poussière vaine et inutile à tout autre ouvrage qu’au verre, et dont le différent mélange vous procure la difficulté de le connaître et de le séparer.
Ainsi si connaissant les principes on s’attachait à les réunir suivant leur conformité on posséderait cette première quinte essence qui est le premier principe de toutes choses, leur feu central, qui les amènerait à la dernière perfection que l’homme peut souhaiter, riez ries mes enfants, nous dît-il, du petit génie des hommes.
Ce fut alors que convaincu des vérités de ce grand homme, je vis le moment que j’allais rire, lorsque Héraclite se levant en colère me menaça de ce que je ne pleurais pas le temps que j’avais perdu, cette réflexion me fît sérieusement rentrer en moi, et voyant qu’ils avoient tous deus raison dans leur sens, je ne blâme plus leur manière de rire et de pleurer.
Ensuite Démocrite nous déduisit, comment la quatrième division de la nature était divisée en feu, air, eau et terre. Les premier est le feu subtil de cette quinte essence nous dît-il, le deuxième est l’eau subtile, le troisième est l’eau épaisse, et le quatrième en est le feu massif, et parce que l’homme aurait acquis ces connaissances sans peine, et par conséquent sans mérite, si le tout lui eût paru à découvert, ainsi la nature prît ces quatre principes et les brouilla si diversement, et de tant de façons, qu’elle produisit par-là un nombre innombrable de productions hors de toute portée humaine, qui ne sont que les différents [p. 1254] effets qu’il peut faire par les différents mélanges des quatre parties de cette quinte essence qui est le premier principe de touffes choses.
Ainsi qui saura mêler l’eau avec l’eau, le feu avec le feu, ensuite convertir le feu en eau, et l’eau en feu, celui là saura refaire la quinte essence, rétablir la nature et sera le maître de tourtes les productions de l’univers.
Voila le Cercle dont il aura fait la quadrature, voila la trinité dont il aura connu l’unité de principe. Voila le mâle et la femelle sortis d’une même masse, la réunion desquels fait cette infinie multiplication. Voila cette unité des principes, que qui ne la connaît ne sait rien, voila le centre et la circonférence, qui sont l’hiéroglyphe des savants, et la fin de leur énumération et de leur savoir, il est un, il est deus, il est trois, il est quatre, il est par conséquent dix, il est encor mieux dix, parce qu’il est cinq et cinq, étant une cinquième essence laquelle veut être combinée en elle-même. Ainsi des lors elle est dix, et ne saurait être rien de plus, puis qu’elle ne veut être mêlée qu’avec soi mesure, riez riez présentement à juste titre de tout le reste des hommes, ils ne vous sauraient plus rien apprendre de nouveau, et hormis mes écoliers, pas un d’eus n’en saura jamais tant que vous ; riez des fausses imaginations des hommes, et Héraclite se mît à pleurer plus que jamais.
Je me trouve alors rempli de toutes ces grandes idées, que je ne pouvais encor bien comprendre, et conjuré instamment Héraclite de joindre ses prières aux miennes, pour obtenir de Démocrite un plus grand éclaircissement sur le discours qu’il venait de nous faire, mais alors Démocrite dît à Héraclite de me satisfaire, et qu’aux endroits qui échapperaient de sa mémoire il nous dirait ce qu’il en avait autrefois enseigné, et se mît à rire.
Héraclite après avoir versé quelques larmes dit, que ce lieu’ où nous étions nous fournirait une matière qui pourrait [p. 1253] peut être me satisfaire par l’explication de ce qu’il représentait.
Vous voyez me dît-il cette mer orageuse qui environne cette île, cela vous doit donner à connaître quelle est l’obscurité où vivent les peuples d’aujourd’hui, n’ayants pas l’esprit de lever les yeux en haut, pour voir les vertus célestes qui en découlent incessamment, et leur abondance est notre mer, qui se mûrissant dans les entrailles de la terre, retient ce feu céleste en elle par lequel toute la nature s’entretient et est en action.
Les quatre colonnes ne signifient que les quatre éléments, et les couleurs qui y paraissent sont les vraies marques du plus parfait ouvrage de la nature, leur réunion compose la cinérite colonne, qui nous représente la fin de l’ouvrage, dont les quatre premières opérations doivent être si nécessairement unies, et si bien ordonnées ensemble, que sans cela la cinquième ne saurait se former, de sorte que c’est la parfaite réunion de ces quatre premiers principes qui forme le cinquième, ce qui donne la dernière maturité et perfection à tous les êtres auxquels il se communique.
C’est de cette source d’abondance que dérivent ces quatre fleuves qui arrosent tout le monde et leur nécessaire réunion fait la mer philosophique que vous voyez à l’entour de vous. Premier principe de ce grand ouvrage, et de la matière de toutes choses. C’est d’elle que se forme la terre matrice de tous les corps physiques, elle les conçoit, nourrit, augmente dans son sein. Et par l’esprit universel qu’en manière de fine fleur blanche elle y corporifie, à qui nous pouvons donner la transparence du cristal, elle fait naître le végétal animal et minera ?, commencement et fin de tous les corps dont il est la vie, et le baume invisible se glissant en eus s’y métamorphose, et augmente, chacun selon son espèce.
Voila le mercure des philosophes, que la nature leur a préparé. C’est l’ambassadeur des Dieux, leur prophète, le Caméléon et le peintre de la nature, qui multiplie l’espèce des germes mourants, et cela par sa chaleur unie à l’humidité de son principe, et si plus ou moins il abonde en eus, il prolonge ou (p. 1256) raccourcit leur durée. Néanmoins leur destruction ne passe pas jusqu’à lui, puis que leurs vertus s’y réunissent dans la séparation de leurs parties. Il est aisé de vous le faire comprendre dans la nature de l’or vif, qui est un corps où les vertus célestes abondent plus que dans nul autre, et cela se connaît par l’égalité et pureté de sa composition, ce qui a fait dire aux philosophes que cette matière dans son principe était la seule dont il fallait se servir pour leur chef d’œuvre, que l’on ne connaîtrait qu’à ce parfait, lorsqu’il serait amené et converti en véritable sel fixe fusible et inaltérables, ce qui se fait en tirant l’âme par l’esprit, et la mondifiant par un feu long et naturel après sa corruption [ ;] cette susdite conversion arrivée, la rejoignant quand elle sera devenue céleste peu à peu à son esprit, et elle se multipliera à l’infini, la redissolvant et recuisante par la même route. Ainsi on conserve toujours ce soufre précieux, qui jeté sur le mercure le perce et le pénètre comme s’il était frappé d’un coup de foudre.
Je n’ose Ephestion vous en dire davantage, si Démocrite juge à propos de vous montrer et nommer toutes choses par leurs noms cela vous exemptera de la profonde étude qu’il vous faudra faire pour le connaître.
Démocrite prît la parole, et me jugeant digne d’un tel secret, me dît que la matière était très ville, et rependue généralement partout, qu’elle n’était estimée précieuse que parmi les sages, qu’elle était un travail sans dépense, et pour m’en convaincre encor mieux, il me fît réellement voir le soleil et la lune qui se plongèrent dans la mer qui nous environnait, et lui donnèrent une telle agitation qu’elle vint de plusieurs différentes couleurs, tantôt s’épaississant, tantôt reprenant sa fluidité, et ensuite elle se sécha et devint mer Rouge, cristalline et transparente.
Je fus si transporté de joie de me voir si rempli de lumières et de connaissances, que je voulus embrasser Démocrite, et lui en marquer ma reconnaissance, mais je n’embrasse rien et pensé tomber en avant, Démocrite ayant disparu à l’instant, et il ne resta qu’une vapeur épaisse, qui s’étant dissipée, me laissa voir des diamants de toutes couleurs, des perles d’une blancheur et grosseur démesurée, une coupe de verre malléable, un nombre prodigieux de lingots d’or et d’argent, une bouteille d’huile de talc, et une boite de la poudre par laquelle le tout a été fait, [p.1257] et qui dominant au-delà de toute matière s’étend encor sur toutes sortes d’esprits.
Ce ne fut pas là mon seul étonnement, car alors la montagne commença, à retentir d’un nombre infini d’instruments, qui rendaient une musique si charmante, que tous les oiseaux y venaient mêler leur ramage, et tous les animaux y accouraient de tourtes parts. Cela dura l’espace d’une demi-heure, et ne cessa que par un tonnerre qui sortit du milieu d’une grande clarté, nous disant.
O mortel qui n’est que poussier, tâche d’acquérir le nom de sage, par le mépris des biens du monde, il est après la mort une autre manière de vie, comme tu vois, à laquelle rien de ce que tu estime[s] là bas ne convient. Et nos corps aptes leurs épurations se verront réunis à nos âmes, pour revivre toujours, et ne s’en sépareront jamais.
Entretiens sans cesse ton génie de ces hautes pensées et merveilles, tiens toujours tes yeux élevés en haut vers ce principe éternel. C’est de cet être suprême que dérive toute vertu et connaissance. Il règle tout, et le jour viendra, qu’interrompant le cours de toutes choses, les cieux embraseront la terre, et la purifieront aussi bien que nos corps.
A l’instant tout s’abîma sous mes pieds avec un bruit affreux, Héraclite disparut, et je me trouve chez moi dans un étonnement dont je demeure longtemps à revenir : et ce qui est encor plus surprenant, est que tout ce que je reçus durant notre entretien, se trouve encor présentement en ma puissance.
Je prends la liberté de vous l’envoyer espérant que vous en agréés le don, j’ai vainement tâché de rejoindre Héraclite.
Je vais travailler à vaincre les"2 difficultés que l’on me fait sur l’affaire que vous savez pour me rendre incessamment auprès de vous. &c.113
FIN.