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NOUVELLE LUMIERE CHYMIQUE,
Traité du Soufre

Traité du Soufre
Second principe de la nature revu et corrigé de nouveau.

Article mis en ligne le 1er février 2010
dernière modification le 28 janvier 2022

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Traité du Soufre

Second principe de la nature revu et corrigé de nouveau.

Préface au Lecteur

Ami Lecteur, d’autant qu’il ne m’est pas permis d’écrire plus clairement qu’ont fait autrefois les anciens Philosophes, peut être aussi ne seras-tu pas content de mes écrits, vu principalement que tu as entre tes mains tant d’autres livres de bons Philosophes. Mais crois que je n’ai pas besoin d’en composer aucun, parce que je n’espère pas d’en tirer aucun profit, ni n’en recherche aucun vaine gloire. C’est pourquoi je n’ai point voulu ni ne veux pas encore faire connaître au public qui je suis. Les traités que j’ai mis au jour en ta faveur me semblaient te devoir plus que suffire : pour le reste, j’ai destiné de te le mettre dans notre Traité de l’Harmonie où je me suis proposé de discourir amplement des choses naturelles. Toutefois, pour condescendre aux prières de mes amis, il a fallu que j’aie encore écrit ce petit livre du Soufre, dans lequel je ne sais pas s’il sera besoin d’ajouter quelque chose à mes premiers ouvrages. Je ne sais pas même si ce livre te satisfera, puisque les écrits de tant de Philosophes ne te satisfont pas ; et principalement puisque nuls autres exemples ne te pourront servir, si tu ne prends pas pour modèle l’opération journalière de la Nature. Car si d’un mûr jugement tu considérais comment la Nature opère, tu n’aurais pas besoin de tant de volumes, parce que, selon mon sentiment, il vaut mieux l’apprendre de la Nature, qui est notre maîtresse, que non pas des disciples. Je t’ai assez amplement montré en la Préface des douze Traités, et encore dans le premier chapitre, qu’il y a tant de livres écrits de cette Science qu’ils embrouillent plutôt le cerveau de ceux qui les lisent qu’ils ne servent à les éclaircir de ce qu’ils doutent. Ce qui est arrivé à cause des grands commentaires que les Philosophes ont fait sur les laconiques préceptes d’Hermès, lesquels de jour à autre semblent vouloir s’éclipser de nous. Pour moi, je crois que ce désordre a été causé par les envieux possesseurs de cette Science qui ont à dessein embarrassé les préceptes d’Hermès, vu que les ignorants ne savent pas ce qu’il faut ajouter ou diminuer, si ce n’est qu’il arrive par hasard qu’ils lisent mal les écrits des auteurs. Car s’il y a quelque science dans laquelle un mot de trop ou de manque importe beaucoup pour aider ou pour nuire à bien comprendre la volonté de l’auteur, c’est particulièrement en celle-ci : par exemple, il est écrit en un lieu, Tu mêlera puis après ces eaux ensemble : l’autre ajoute cet adverbe, ne : ce qui fait, Tu ne mêlera puis après ces eaux ensemble. N’ayant mis que deux lettres, il a véritablement ajouté peu de chose et néanmoins tout le sens est perverti. Que le diligent scrutateur de cette Science sache que les abeilles ont l’industrie de tirer leur miel même des herbes vénéneuses : et que lui pareillement s’il sait rapporter ce qu’il lit à la possibilité de la Nature, il résoudra facilement les sophismes, c’est-à-dire qu’il discernera aisément ce qui le peut tromper : qu’il ne cesse donc de lire, car un livre explique l’autre. J’ai ouï dire que les livres de Geber ont été envenimés par les sophismes de ceux qui les ont expliqués. Et qui sait s’il n’en a pas été de même des livres des autres auteurs ? En telle manière qu’aujourd’hui on ne peut ni on ne doit les entendre qu’après les avoir lus mille et mille fois ; et encore faut-il que ce soit un esprit très docte et très subtil qui les lise, car les ignorants ne doivent pas se mêler de cette lecture. Il y en a plusieurs qui ont entrepris d’interpréter Geber et les autres auteurs, dont l’explication est beaucoup plus difficile à entendre que n’est pas le texte même. C’est pourquoi je te conseille de t’arrêter plutôt au texte, et de rapporter le tout à la possibilité de la Nature, recherchant en premier lieu ce que c’est que la Nature. Tous disent bien unanimement que c’est une chose commune, de vil prix et facile à avoir ; et il est vrai : mais ils devraient ajouter : à ceux qui le savent. Car quiconque le sait, la connaîtra bien dans toute sorte d’ordures : mais ceux qui l’ignorent ne croient pas même qu’elle soit dans l’Or. Que si ceux qui ont écrit ces livres si obscurs, lesquels sont néanmoins très vrais, n’eussent point su l’Art et qu’il leur eût fallu le chercher, je crois qu’ils y eussent eu plus de peine que n’en ont pas aujourd’hui les Modernes. Je ne veux pas louer mes écrits, j’en laisse juger à celui qui les appliquera à la possibilité et au cours de la Nature. Que si par la lecture de mes œuvres, par mes conseils et mes exemples, il ne peut connaître l’opération de la Nature et ses ministres les esprits vitaux, qui restreignent l’air, à grand-peine le pourra-t-il par les œuvres de Lulle. Car il est très difficile de croire que les esprits aient tant de pouvoir dans le ventre du vent, J’ai été aussi contraint de passer cette forêt et de la multiplier comme les autres ont fait ; mais en telle manière que les plantes que j’y enterrai serviront de guide aux inquisiteurs de cette Science, qui veulent passer par cette forêt : car mes plantes sont comme des esprits corporels. Il n’en est pas de ce siècle comme des siècles passés, auxquels on s’entr’aimait avec tant d’affection qu’un ami déclarait mot à mot cette Science à son ami. On ne l’acquiert aujourd’hui que par une sainte inspiration de Dieu. C’est pourquoi quiconque l’aime et le craint, la pourra posséder : qu’il ne désespère pas, s’il la cherche il la trouvera, parce qu’on la peut plutôt obtenir de la bonté de Dieu que du savoir d’aucun homme ; car sa miséricorde est infinie et n’abandonne jamais ceux qui espèrent en lui ; il ne fait point acception de personnes et il ne rejette jamais un cœur contrit et humilié ; c’est lui qui a eu pitié de moi, qui suis la plus indigne de toutes les créatures et qui suis incapable de raconter sa puissance, sa bonté et son affable miséricorde qu’il lui a plu de me témoigner.

Que si je ne puis lui rendre grâces plus particulières, pour le moins je ne cesserai point de consacrer mes ouvrages à sa gloire. Aie donc courage, Ami Lecteur, car si tu adores Dieu dévotement, que tu l’invoques et que tu mettes toute ton espérance en lui, il ne te déniera pas la môme grâce qu’il m’a accordée ; il t’ouvrira la porte de la Nature, là où tu verras comme elle opère très simplement. Sache pour certain que la Nature est très simple et qu’elle ne se délecte qu’en la simplicité : et crois-moi que tout ce qui est de plus noble en la Nature est aussi le plus facile et le plus simple, car toute vérité est simple. Dieu, le Créateur de toutes choses, n’a rien mis de difficile en la Nature. Si donc tu veux imiter la Nature, je te conseille de demeurer en sa simple voie, et tu trouveras toute sorte de biens. Que si mes écrits et mes avertissements ne te plaisent pas, aie recours à d’autres. Je n’écris pas de grands volumes, tant afin de ne te faire guère dépenser à les acheter, qu’afin que tu les aies plus tôt lus : car puis après tu auras du temps pour consulter les autres auteurs, Ne t’ennuie donc point de chercher ; on ouvre à celui qui heurte ; joins que voici le temps que plusieurs secrets de la Nature seront découverts. Voici le commencement d’une quatrième Monarchie qui régnera vers le Septentrion ; le temps s’approche, la Mère des Sciences viendra. On verra bien des choses plus grandes et plus excellentes qu’on n’a pas faites durant les trois autres Monarchies passées ; parce que Dieu (selon le présage des Anciens) plantera cette quatrième Monarchie par un prince orné de toutes vertus et qui, peut-être, est déjà né. Car nous avons en ces parties boréales un prince très sage, très belliqueux, que nul monarque n’a surmonté en victoires et qui surpasse tout autre en piété et humanité. Sans doute Dieu le Créateur permettra qu’on découvrira plus de secrets de la Nature pendant le temps de cette Monarchie boréale qu’il ne s’en est découvert pendant les trois autres Monarchies que les princes étaient ou païens ou tyrans. Mais tu dois entendre ces Monarchies au même sens des Philosophes, qui ne les content pas selon la puissance des Grands, mais selon les quatre points cardinaux du monde. La première a été orientale ; la seconde méridionale ; la troisième qui règne encore aujourd’hui est occidentale ; on attend la dernière de ces pays septentrionaux. De toutes lesquelles choses nous parlerons en notre Traité de l’Harmonie. Dans cette Monarchie septentrionale, attractive polaire (comme dit le Psalmiste), la miséricorde et la piété se rencontreront, la paix et la justice se baigneront ensemble ; la vérité sortira de la Terre et la justice regardera du Ciel : il n’y aura qu’un troupeau et un Pasteur. Et plusieurs feront sciences sans envie, c’est ce que j’attends avec désir. Quant à toi, Ami Lecteur, prie Dieu, crains-le, et l’aime : puis lis diligemment mes écrits et tu découvriras toute sorte de biens. Que si, par l’aide de Dieu et par l’opération de la Nature (que tu dois toujours suivre), tu arrives au port désiré de cette Monarchie, tu verras alors et connaîtras que je ne t’ai rien dit qui ne soit bon et véritable.

Adieu.

Traité du Soufre

Second principe de la nature revu et corrigé de nouveau.

Chapitre I

De l’origine des trois Principes

Le Soufre n’est pas le dernier entre les trois Principes, puisqu’il est une partie du métal, et même la principale partie de la Pierre des Philosophes. Plusieurs Sages ont traité du Soufre et nous en ont laissé beaucoup de choses par écrit, qui sont très véritables ; et particulièrement Geber en son Livre I de la Souveraine Perfection, chapitre 28 , où il est parlé en ses termes : Par le Dieu très haut, c’est le Soufre qui illumine tous les corps, parce que c’est la lumière de la lumière, et leur teinture.

Mais parce que les Anciens ont reconnu le Soufre pour le plus noble principe, nous avons trouvé à propos, avant que d’en traiter, de décrire l’origine de tous les trois Principes. Parmi le grand nombre de ceux qui en ont écrit, il y en a peu qui nous aient découvert d’où ils procèdent ; et il est difficile de juger de quelqu’un des Principes, non plus que de toute autre chose, si on en ignore l’origine et la génération : car un aveugle ne peut juger des couleurs. Nous accomplirons en ce Traité ce que nos ancêtres ont omis.

Suivant l’opinion des Anciens, il n’y a que deux Principes des choses naturelles, et notamment des métaux, savoir le Soufre et le Mercure. Les Modernes, au contraire, en ont admis trois : le Sel, le Soufre et me Mercure, qui ont été produits des quatre Eléments. Nous commencerons à décrire l’origine des quatre éléments avant que de parler de la génération des Principes.

Que les amateurs de cette Science sachent donc qu’il y a quatre Eléments ; chacun desquels a, dans son centre, un autre Elément dont il est élémenté. Ce sont les quatre piliers du monde, que Dieu, par sa sagesse, sépara du Chaos au temps de la création de l’Univers ; qui, par leurs actions contraires, maintiennent toute cette machine du monde en égalité et en proportion et qui, enfin, par la vertu des influences célestes, produisent toutes les choses dedans et dessus la Terre, desquelles nous traiterons en leur lieu. Mais retournons à notre propos : nous parlerons de la Terre, qui est l’ EIément le plus proche de nous.

Chapitre II

De l’Elément de la Terre

La Terre est un Elément assez noble en sa qualité et dignité, dans lequel reposent les trois autres et principalement le Feu. C’est un Elément très propre pour cacher et manifester toutes les choses qui lui sont confiées : il est grossier et poreux, pesant si on considère sa petitesse, mais léger eu égard à sa Nature ; c’est aussi le centre du monde et des autres Eléments. Par son centre passe l’essieu du monde de l’un et l’autre pôle. Il est poreux, dis-je, comme une éponge, laquelle de soi ne peut rien produire : mais il reçoit tout ce que les autres Eléments laissent couler et jettent dans lui ; il garde ce qu’il faut garder et manifeste ce qu’il faut manifester. De soi-même, comme nous avons dit, il ne produit rien, mais il sert de réceptacle à tous les autres. Tout ce qui se produit demeure en lui ; tout se putréfie en lui par le moyen de la chaleur motive et se multiplie aussi en lui par la vertu de la même chaleur qui sépare le pur de l’impur ; ce qui est pesant demeure caché en lui, et la chaleur centrale pousse ce qui est léger jusqu’à la superficie. Il est la matrice et la nourrice de toutes les semences et de tous les mélanges : il ne peut rien faire autre chose que conserver la semence et le composé jusqu’à parfaite maturité. Il est froid et sec, mais l’eau tempère sa sécheresse. Extérieurement, il est visible et fixe ; mais, en son intérieur, il est visible et volatil. Il est vierge dès sa création ; c’est la tête morte qui a resté de la distillation du monde, laquelle, par la Volonté divine, après l’extraction de son humidité doit être quelque jour calcinée ; en sorte que d’icelle il s’en puisse créer une nouvelle Terre cristalline. Cet Elément est divisé en deux parties, dont l’une est pure et l’autre impure. La partie pure se sert de l’eau pour produire routes choses, l’impure demeure dans son globe. Cet Elément est aussi le domicile où tous les trésors sont cachés, et dans son centre est le feu de Géhenne, qui conserve cette machine du monde en son être, et ce par l’expression de l’eau qu’il convertit en air. Ce feu est causé et allumé par le roulement du premier mobile, et par les influences des Etoiles ; et lorsqu’il s’efforce de pousser l’eau souterraine jusqu’à l’air, il rencontre la chaleur du Soleil céleste tempérée par l’air, laquelle, faisant attraction, lui aide premièrement à faire venir jusqu’à l’air ce qui veut pousser hors de la Terre : puis lui sert encore à faire mûrir ce que la Terre a conçu dans son ventre. C’est pourquoi la Terre participe du Feu, qui est son intrinsèque, et elle ne se purifie que par le Feu. Et ainsi chaque Elément ne se purifie que par celui qui lui est intrinsèque. Or l’intrinsèque de la Terre, ou son centre, est une substance très pure mêlée avec le Feu, auquel centre rien ne peut demeurer : cal il est comme un lieu vide, dans lequel les autres Eléments jettent ce qu’ils produisent, comme nous l’avons montré en notre œuvre des douze Traités. Mais c’est assez parler de la Terre, que nous avons dit être une éponge et le réceptacle des autres Eléments : ce qui suffit pour notre dessein.

Chapitre III

De l’Elément de l’Eau

L’Eau est un Elément très pesant et plein de flegme onctueux, c’est le plus digne en sa qualité, Extérieurement il est volatil, mais fixe en son intérieur ; il est froid et humide ; il est tempéré par l’air ; c’est le sperme du monde, dans lequel la semence de toutes choses se conserve : de sorte qu’il est le gardien de toute espèce de semence. Toutefois il faut savoir qu’autre chose est la semence, autre chose est le sperme. La Terre est le réceptacle du sperme, l’Eau est la matrice de la semence. Tout ce que l’air jette dans l’Eau par le moyen du Feu, l’Eau le jette dans la Terre. Le sperme est toujours en assez grande abondance et n’attend que la semence pour la porter dans sa matrice : ce qu’il fait par le mouvement de l’air, excité de l’imagination du Feu. Et quelquefois le sperme, pour n’avoir pas été assez digéré par la chaleur, manque de semence et entre, à la vérité, dans la matrice, mais il en sort derechef sans produire aucun fruit. Ce que nous expliquerons quelque jour plus amplement dans notre Traité du troisième Principe du Sel.

II arrive bien souvent en la Nature que le sperme entre dans la matrice avec une suffisante quantité de semence ; mais la matrice, étant mal disposée et pleine de soufres ou de flegmes impurs, ne conçoit pas ; ou, si elle conçoit, ce n’est pas ce qui devrait être engendré. Dans cet Elément aussi il n’y a rien, à proprement parler, qui ne s’y trouve en la manière qu’il a accoutumé d’être dans le sperme. Il se plaît fort dans son propre mouvement qui se fait par l’air, et, à cause que la superficie de son corps est volatile, il se mêle aisément à chaque chose. Il est (comme nous avons dit) le réceptacle de la semence universelle ; et comme la Terre se résout et se purifie facilement en lui, de même l’air se congèle en lui et se conjoint avec lui dans sa profondité. C’est le menstrue du monde, qui, pénétrant l’air par la vertu de la chaleur, attire avec soi une vapeur chaude, laquelle est cause de la génération naturelle de toutes les choses, desquelles la Terre est comme la matrice imprégnée ; et quand la matrice a reçu une suffisante quantité de semence, quelle qu’elle soit, il en vient ce qui en doit naître. Et la Nature opère sans intermission, jusqu’à ce qu’elle ait amené son ouvrage à une entière perfection. Et pour ce qui reste d’humide, qui est le sperme, il tombe à côté et se putréfie par l’action de la chaleur sur la Terre : d’où plusieurs choses sont après engendrées, quelquefois diverses petites bêtes et de petits vers. Un artiste qui aurait l’esprit subtil pourrait bien voir la diversité des miracles que la Nature opère dans cet Elément, comme du sperme ; mais il lui serait nécessaire de prendre ce sperme, dans lequel il y a déjà une imaginée semence astrale d’un certain poids. Car la Nature, par la première putréfaction, fait et produit des choses pures ; mais par la seconde putréfaction, elle en produit encore de plus pures, de plus dignes et de plus nobles : comme nous en avons un exemple dans le bois végétable, lorsque la Nature, dans la première composition, ne l’a fait que simple bois ; mais quand après une parfaite maturité il est corrompu, il se putréfie derechef et, par le moyen de cette putréfaction, sont engendrés des vers et autres petites bêtes qui ont la vie et la vue tout ensemble. Car il est certain qu’un corps sensible est toujours plus noble et plus parfait qu’un corps végétable, parce qu’il faut une matière plus subtile et plus pure pour faire les organes du corps qui ont sentiment. Mais retournons à notre propos.

Nous disons que l’Eau est le menstrue du monde et qu’elle se divise en trois parties : l’une simplement pure, l’autre plus pure, la troisième très pure. Les Cieux ont été faits de sa très pure substance : la plus pure s’est convertie en air ; la simplement pure et la plus grossière a demeuré dans sa sphère, où, par la volonté de Dieu et par la coopération de la Nature, elle conserve toutes les choses subtiles. L’Eau ne fait qu’un globe avec la Terre, et elle a son centre au cœur de la mer : elle a aussi un même essieu polaire avec la Terre, de laquelle sortent les fontaines et tous les cours des eaux qui s’accroissent après en grands fleuves. Cette sortie d’eaux préserve la Terre de combustion, laquelle, étant humectée et arrosée, pousse par ses pores la semence universelle que le mouvement et la chaleur ont faite. C’est une chose assez connue que toutes les Eaux retournent au cœur de la mer, mais peu de gens savent où elles vont puis après. Car il y en a quelques-uns qui croient que les Astres ont produit tous les fleuves, les Eaux et les sources qui regorgent dans la mer et qui, ne sachant pourquoi la mer ne s’en enfle point, disent que ces Eaux se consument dans le cœur de la mer : ce qui est impossible en la Nature, comme nous l’avons montré en pariant des pluies. Il est bien vrai que les Astres causent, mais ils n’engendrent point, vu que rien ne s’engendre que par son semblable de même espèce. Puis donc que les Astres sont faits du Feu et de l’Air, comment pourraient-ils engendrer les Eaux ? Que s’il était ainsi que quelques Etoiles engendrassent des Eaux, il s’ensuivrait nécessairement que d’autres produiraient la Terre, et ainsi d’autres Etoiles produiraient d’autres Eléments : car cette machine du monde est réglée d’une manière que tous les Eléments y sont en équilibre et ont une égale vertu, en telle sorte que l’un ne surpasse point l’autre de la moindre partie : car si cela était, la ruine de tout le monde s’ensuivrait infailliblement. Toutefois, celui qui le voudra croire autrement, qu’il demeure en son opinion. Quant à nous, nous avons appris dans la Lumière de la Nature, que Dieu conserve la machine du monde par l’égalité qu’il a proportionnée dans les quatre Eléments, et que l’un n’excède point l’autre en son opération ; mais les Eaux, par le mouvement de l’Air, sont contenues sur les fondements de la Terre comme si elles étaient dans quelque tonneau, et, par le même mouvement, sont resserrées vers le Pôle arctique, parce qu’il n’y a rien de vide au monde. Et c’est pour cette raison que le feu de Géhenne est au centre de la Terre où l’Archée de la Nature le gouverne.

Car au commencement de la Création du monde, Dieu tout-puissant sépara les quatre Eléments du Chaos : il exalta premièrement leur quinte-essence et la fit monter plus haut que n’est le lieu de leur propre sphère. Après, il éleva sur toutes les choses créées la plus pure substance du Feu, pour y placer sa sainte et sacrée Majesté ; laquelle substance il constitua et affermit dans ses propres bornes. Par la volonté de cette immense et divine Sagesse, ce Feu fut allumé dans le centre du Chaos, lequel puis après fit distiller la très pure partie de ces Eaux. Mais parce que ce Feu très pur occupe maintenant le firmament, et environne le Trône du Dieu très haut, les Eaux ont été condensées sous ce Feu en un corps qui est le Ciel. Et afin que ces Eaux fussent mieux soutenues, le Feu central a fait, par sa vertu, distiller un autre Feu plus grossier, qui, n’étant pas si pur que le premier, n’a pu monter si haut que lui et a demeuré sous les Eaux dans sa propre sphère. De sorte qu’il y a dans les Cieux des Eaux congelées et renfermées entre deux feux. Mais ce Feu central n’a point cessé d’agir : il a fait encore distiller plus avant d’autres Eaux moins pures qu’il a converties en Air, lequel a aussi demeuré sous la sphère du Feu en sa propre sphère et est environné de lui comme d’un très fort fondement. Et comme les Eaux des Cieux ne peuvent monter si haut et passer par-dessus le Feu qui environne le Trône de Dieu, de même aussi le Feu, qu’on appelle Elément, ne peut monter si haut et passer par-dessus les Eaux célestes, qui sont proprement les Cieux. L’Air aussi ne saurait monter si haut qu’est le Feu élémentaire, et passer par-dessus lui.

Pour ce qui est de l’Eau, elle a demeuré avec la Terre, et toutes deux jointes ensemble ne font qu’un globe : car l’Eau ne saurait trouver de place en l’Air, excepté cette partie que le Feu central convertit en Air pour la conservation journalière de cette machine du monde. Car s’il y avait quelque lieu vide en l’Air, toutes les Eaux distilleraient et se résoudraient en air pour le remplir ; mais maintenant toute la sphère de l’Air est tellement pleine par le moyen des Eaux, lesquelles la continuelle chaleur centrale pousse jusqu’en l’Air, qu’il comprime le reste des Eaux et les contraint de couler autour de la Terre et se joindre avec elle pour faire le centre du monde. Cette opération se fait successivement de jour à autre ; et ainsi le monde se fortifie de jour en jour et demeurerait naturellement incorruptible, si l’absolue volonté du très haut Créateur n’y répugnait, parce que ce Feu central, tant par le mouvement universel que par l’influence des Astres, ne cessera jamais de s’allumer et d’échauffer les Eaux. Et les Eaux ne cesseront jamais de se résoudre en Air, non plus que l’Air ne cessera jamais de comprimer le reste des Eaux et de les contraindre de couler autour de la Terre, afin de les retenir dans leur centre, en telle sorte qu’elles ne puissent jamais s’en éloigner. C’est ainsi que la Sagesse souveraine a créé tout le monde et qu’il le maintient ; et c’est ainsi, à son exemple, qu’il faut de nécessité que toutes les choses soient naturellement faites dans ce monde. Nous t’avons voulu éclaircir de la manière que cette machine du monde a été créée, afin de te faire connaître que les quatre Eléments ont une naturelle sympathie avec les supérieurs, parce qu’ils sont tous sortis d’un même Chaos ; mais ils sont tous quatre gouvernés par les supérieurs comme les plus nobles, et c’est la cause pour laquelle, en ce lieu sublunaire, les Eléments inférieurs rendent une pareille obéissance aux supérieurs. Mais sachez que toutes ces choses ont été naturellement trouvées par les Philosophes, comme il sera dit en son lieu.

Retournons à notre propos du cours des Eaux, du flux et reflux de la mer, et montrons comment elles passent par l’essieu polaire pour aller de l’un à l’autre Pôle. Il y a deux Pôles, l’un arctique, qui est en la partie supérieure septentrionale ; l’autre, antarctique, qui est sous la Terre en la partie méridionale. Le Pôle arctique a une force magnétique d’attirer, et le Pôle antarctique a une force aimantine de repousser : ce que la Nature nous a donné pour exemple dans l’Aimant. Le Pôle arctique attire donc les Eaux par l’essieu, lesquelles ayant entré, sortent derechef par l’essieu du Pôle antarctique. Et parce que l’Air qui les resserre ne leur permet pas de couler avec inégalité, elles sont contraintes de retourner derechef au Pôle arctique, qui est leur centre, et d’observer continuellement leur cours de cette manière : elles roulent sans cesse sur l’essieu du monde, du Pôle arctique à l’antarctique ; elles se répandent par les pores de la Terre ; et, suivant la grandeur ou la petitesse de leur écoulement, il en naît de grandes ou de petites sources, qui après se ramassent ensemble et s’accroissent en fleuves et retournent derechef d’où elles étaient sorties. Ce qui se fait incessamment par le mouvement universel.

Quelques-uns (comme nous avons dit), ignorant le mouvement universel et les opérations des Pôles, soutiennent que ces Eaux sont engendrées par les Astres et qu’elles sont consumées dans le cœur de la mer ; il est pourtant certain que les Astres ne produisent ni n’engendrent rien de matériel, mais qu’ils impriment seulement des vertus et des influences spirituelles qui, toutefois, n’ajoutent pas de poids à la matière. Sachez donc que les Eaux ne s’engendrent point des Astres, mais qu’elles sortent du centre de la mer et, par les pores de la Terre, se répandent par tout le monde. De ces fondements naturels, les Philosophes ont inventé divers instruments, plusieurs conduits d’eaux et de fontaines, puisqu’on sait très bien que les Eaux ne peuvent pas monter naturellement plus haut que n’est le lieu d’où elles sont sorties ; et si cela n’était ainsi dans la Nature, l’Art ne le pourrait pas faire en aucune façon, parce que l’Art imite la Nature et que l’Art ne peut pas faire ce qui n’est point dans la Nature. Car l’Eau (comme il a été dit) ne peut pas monter plus haut que n’est le lieu d’où elle est prise. Nous en avons un exemple en l’instrument par lequel on tire le Vin du tonneau. Sachez donc, pour conclusion, que les Astres n’engendrent point les Eaux ni les sources, mais qu’elles viennent toutes du centre de la mer, auquel elles retournent derechef et, ainsi, continuent un mouvement perpétuel. Car si cela n’était, il ne s’engendrerait rien ni dedans ni dessus la Terre : au contraire, tout tomberait en ruine, quelqu’un objectera : les Eaux de la mer sont salées, et celles des sources sont douées. Je réponds que cela advient parce que l’Eau passant dans l’étendue de plusieurs lieues par les pores de la Terre, en des lieux étroits et pleins de sablon, s’adoucit et perd sa salure : et, à cet exemple, on a inventé les citernes. La Terre aussi, en quelques endroits, a des pores plus larges par lesquels l’Eau salée passe, d’où il advient des minières de Sel et des fontaines salées, comme à Halle en Allemagne. En quelques autres lieux aussi elles sont resserrées par le chaud, de sorte que le Sel demeure parmi les sablons : mais l’Eau passe outre et sort par d’autres pores, comme en Pologne, Wielichie et Bochnie. De même aussi, quand les Eaux passent par des lieux chauds et sulfurés, elles s’échauffent, et de là viennent les bains : car aux entrailles de la Terre il se rencontre des lieux où la Nature distille une minière sulfurée, de laquelle elle sépare l’Eau quand le Feu central l’a allumée. L’Eau, donc, coulant par ces lieux ardents, s’échauffe plus ou moins selon qu’elle en passe près ou loin ; et ainsi s’élève à la superficie de la Terre, retenant une saveur de Soufre, comme un bouillon celle de la chair ou des herbes qu’on a fait bouillir dedans. La même chose arrive encore, lorsque l’Eau, passant par des lieux minéraux, alumineux ou autres, en retient ta saveur. Le Créateur de ce grand Tout est donc ce distillateur, qui tient en sa main le distillatoire, à l’exemple duquel les Philosophes ont inventé toutes leurs distillations. Ce que Dieu tout-puissant et miséricordieux, sans doute, a lui-même inspiré dans l’âme des hommes, lequel pourra (quand il lui plaira) éteindre le Feu centrique, ou rompre le vaisseau ; et alors le monde finira. Mais parce que son infinie bonté ne tend jamais qu’au mieux, il exaltera quelque jour sa très sainte Majesté ; il élèvera ce Feu très pur, qui est au firmament, dessus des Eaux célestes et donnera un degré plus fort au Feu central. Tellement que toutes les Eaux se résoudront en Air, et la Terre se calcinera : de manière que le Feu, après avoir consumé tout ce qui sera impur, subtilisera les Eaux qu’il aura circulées en l’air, et les rendra à la Terre purifiée. Et ainsi (s’il est permis de philosopher en cette sorte) Dieu en fera un monde plus noble que celui-ci.

Que tous les inquisiteurs de cette Science sachent donc que la Terre et l’Eau ne font qu’un globe, et que, jointes ensemble, elles font tout, parce que ce sont les deux Eléments palpables, dans lesquels les deux autres sont cachés et font leur opération. Le Feu empêche que l’Eau ne submerge ou ne fasse dissoudre la Terre : l’Air empêche le Feu de s’éteindre : et l’Eau empêche la Terre d’être brûlée. Nous avons trouvé à propos de décrire toutes ces choses, afin de donner à connaître aux studieux en quoi consistent les fondements des Eléments, et comment les Philosophes ont observé leurs contraires actions, joignant le Feu avec la Terre, l’Air avec l’Eau : au lieu que, quand ils ont voulu faire quelque chose de noble, ils ont fait cuire le Feu dans l’Eau, considérant qu’il y a du sang, dont l’un est plus pur que l’autre, de même que les larmes sont plus pures que n’est pas l’urine. Qu’il te suffise donc de ce que nous avons dit, que l’Elément de l’Eau est le sperme et le menstrue du monde et le vrai réceptacle de la semence.

Chapitre IV

De l’Elément de l’Air

L’Air est un Elément entier, très digne en sa qualité. Extérieurement, il est léger, volatil et invisible ; et, en son intérieur, il est pesant, visible et fixe. Il est chaud et humide ; c’est le Feu qui le tempère. Il est plus noble que la Terre et l’Eau. Il est volatil, mais il se peut fixer ; et, quand il est fixé, il rend tous les corps pénétrables. Les esprits vitaux des animaux sont créés de sa très pure substance ; la moins pure fut élevée en haut pour constituer la sphère de l’Air. La plus grossière partie qui resta a demeuré dans l’Eau et se circule avec elle, comme le Feu se circule avec la Terre parce qu’ils sont amis. C’est un très digne Elément (comme nous avons dit) qui est le vrai lieu de la semence de toutes choses : et comme il y a une semence imaginée dans l’Homme, de même la Nature s’est formée une semence dans l’Air, laquelle, après un mouvement circulaire, est jetée en son sperme, qui est l’Eau. Cet Elément a une force très propre pour distribuer chaque espèce de semence à ses matrices convenables, par le moyen du sperme et menstrue du monde. Il contient aussi l’esprit vital de toute créature ; lequel esprit vit partout, pénètre tout, et qui donne la semence aux autres Eléments comme l’Homme le communique aux Femmes. C’est l’Air qui nourrit les autres Eléments ; c’est lui qui les imprègne ; c’est lui qui les conserve. Et l’expérience journalière nous apprend que non seulement les minéraux, les végétaux et les animaux, mais encore les autres Eléments vivent par le moyen de l’Air. Car nous voyons que toutes les Eaux se putréfient et deviennent bourbeuses si elles ne reçoivent un nouvel Air : le Feu s’éteint aussi, s’il n’a de l’Air. De là vient que les Alchymistes savent distribuer à l’Air leur Feu par degrés ; qu’ils mesurent l’Air par leurs registres et qu’ils font leur Feu plus grand ou plus petit suivant le plus ou moins d’Air qu’ils lui donnent. Les pores de la Terre sont aussi conservés par l’Air : et, enfin, toute la machine du monde se maintient par le moyen de l’Air.

L’Homme, comme aussi tous les autres animaux, meurent s’ils sont privés de l’Air : et rien ne croîtrait au monde sans la force et la vertu de l’Air, lequel pénètre, altère et attire à soi le nutriment multiplicatif. En cet Elément, la semence est imaginée par la vertu du Feu, et cette semence comprime le menstrue du monde par cette force occulte, comme aux arbres et aux herbes la chaleur spirituelle fait sortir le sperme avec la semence par les pores de la Terre ; et, à mesure qu’il sort, l’Air le comprime à proportion et le congèle goutte à goutte. Et ainsi, de jour en jour, les arbres croissent et viennent fort grands, une goutte se congelant sur l’autre (comme nous l’avons montré en notre livre des douze Traités). En cet Elément, toutes choses sont entières par l’imagination du Feu ; aussi est-il rempli d’une vertu divine, car l’esprit du Seigneur y est renfermé (qui avant la Création du monde était porté sur les Eaux, selon le témoignage de l’Ecriture sainte), et a volé sur les plumes des vents. S’il est donc ainsi (comme il est en effet) que l’esprit du Seigneur soit enclos dans l’Air, qui pourra douter que Dieu ne lui ait laissé quelque chose de sa divine puissance ? Car ce Monarque a coutume d’enrichir de parements ses domiciles : aussi a-t-il donné pour ornement à cet Elément l’esprit vital de toutes créatures, car dans lui est la semence de toutes les choses qui sont dispersées çà et là. Et, comme nous avons dit ci-dessus, ce souverain ouvrier, dans la Création du monde, a enclos dans l’Air une force magnétique sans laquelle il ne pourrait pas attirer la moindre partie du nutriment ; et ainsi la semence demeurerait en petite quantité, sans pouvoir croître ni multiplier. Mais comme la Pierre d’aimant attire à soi le Fer, nonobstant sa dureté (à l’exemple du Pôle arctique qui attire à soi les Eaux, comme nous l’avons montré en traitant de l’Elément de l’Eau), de même l’Air, par son aimant végétable qui est contenu dans la semence, attire à soi son aliment du menstrue du monde, qui est l’Eau. Toutes ces choses se font par le moyen de l’Air, car il est le conducteur des Eaux, et sa force ou puissance magnétique, que Dieu a enclose en lui, est cachée dans toute espèce de semence pour attirer l’humide radical ; et cette vertu ou puissance qui se trouve en toute semence est toujours la deux cent octantième partie de la semence, comme nous avons dit au troisième de nos douze Traités.

Si donc quelqu’un veut bien planter les arbres, qu’il regarde toujours que la pointe attractive soit tournée vers le Septentrion ; et ainsi jamais il ne perdra sa peine. Car comme le Pôle arctique attire à soi les Eaux, de même le point vertical attire à soi la semence, et toute pointe attractive ressemble au Pôle. Nous en avons un exemple dans le bois, dont la pointe attractive tend toujours à son point vertical, lequel aussi ne manque pas de l’attirer. Car qu’on taille un bâton de bois, en sorte qu’il soit partout égal en grosseur, si tu veux savoir quelle était sa partie supérieure avant qu’il fût coupé de son arbre, plonge-le dans une eau qui soit plus large que n’est la longueur de ce bois, et tu verras que a partie supérieure sortiras toujours hors de l’eau, avant la partie inférieure : car la Nature ne peut errer en son office. Mais nous parlerons plus amplement de ces choses dans notre Harmonie, où nous traiterons de la force magnétique (quoi que celui-là peut facilement juger de notre Aimant, à qui la Nature des métaux est connue). Quant à présent, il nous suffira d’avoir dit que l’Air est un très digne Elément, dans lequel est la semence et l’esprit vital, ou le domicile de l’âme de toute créature.

Chapitre V

De l’Elément du Feu

Le Feu est le plus pur et le plus digne Elément de tous, plein d’une onctuosité corrosive. Il est pénétrant, digérant, corrodant et très adhérent. Extérieurement, il est visible, mais invisible en son intérieur, et très fixe. Il est chaud et sec ; c’est la Terre qui le tempère. Nous avons dit, en traitant de l’Elément de l’Eau, qu’en la création du monde la très pure substance du Feu a été premièrement élevée en haut, pour environner le Trône de la divine Majesté, lorsque les Eaux, dont le Ciel a été composé, furent congelées, que de la substance du Feu moins pure que cette première les Anges ont été créés et que les Luminaires et les Etoiles ont été crées de la substance du Feu moins pure que la seconde, mais mêlée avec la très pure substance de l’Air. La substance du Feu encore moins pure que la troisième, a été exaltée en sa sphère pour terminer et soutenir les Cieux. La plus impure et onctueuse partie, que nous appelons Feu de Géhenne, est restée au centre de la Terre où le souverain Créateur, par sa sagesse, l’a renfermée pour continuer l’opération du mouvement. Tous ces Feux sont véritablement divisés, mais ils ne laissent pas d’avoir une naturelle sympathie les uns avec les autres.

Cet Elément est le plus tranquille de tous et ressemble a un chariot qui roule lorsqu’il est traîné et demeure immobile si on ne le tire pas. Il est imperceptiblement dans toutes les choses du monde. Les facultés vitales et intellectuelles qui sont distribuées en la première infusion de la vie humaine se rencontrent en lui, lesquelles nous appelons âme raisonnable, qui distingue l’Homme des autres animaux et le rend semblable à Dieu. Cette âme, faite de la plus pure partie du Feu élémentaire, a été divinement infuse dans l’esprit vital ; pour laquelle l’Homme, après la création de toutes choses, a été créé comme un monde en particulier ou comme un abrégé de ce grand Tout. Dieu le Créateur a mis son siège et sa majesté en cet Elément du Feu, comme au plus pur et plus tranquille sujet qui soit gouverné par la seule immense et divine Sagesse : c’est pourquoi Dieu abhorre toute espèce d’impureté, et que rien d’immonde, de composé ou de souillé ne peut approcher de lui. D’où il s’ensuit qu’aucun Homme naturellement ne peut voir ni approcher de Dieu : car le Feu très pur, qui environne la Divinité et qui est le propre siège de la majesté du Très-Haut, a été élevé à un si haut degré de chaleur qu’aucun œil ne le peut pénétrer, à cause que le Feu ne peut souffrir qu’aucune chose composée approche de lui ; car le Feu est la mort et la séparation de tous composés.

Nous avons dit que cet Elément était un sujet tranquille (aussi est-il vrai), autrement Dieu ne pourrait être à repos (chose qui serait très absurde de penser seulement), parce qu’il est très certain qu’il est dans une parfaite tranquillité et même plus que l’esprit humain ne saurait s’imaginer. Que le Feu soit en repos, les cailloux nous en servent d’exemple, dans lesquels il y a un Feu qui ne paraît pas toutefois à nos yeux, et dont on ne peut ressentir la chaleur, jusqu’à ce qu’il soit excité et allumé par quelque mouvement : de même aussi ce Feu très pur, qui environne la très sainte Majesté du Créateur, n’a aucun mouvement s’il n’est excité par la propre volonté du Très-Haut : car alors ce Feu va où il plaît au Seigneur le faire aller ; et quand il se meut, il se fait un mouvement terrible et très véhément. Proposez-vous pour exemple, lorsque quelque Monarque de ce monde est en son Siège majestueux, quel silence n’y a-t-il point autour de lui ? Quel grand repos ? Et encore que quelqu’un de ses courtisans vienne à se remuer, ce mouvement particulier néanmoins n’est que peu ou point considéré ; mais quand le Monarque commence à se mouvoir pour aller d’un lieu à l’autre, alors toute l’assemblée se remue universellement, de telle manière qu’on entend un grand bruit. Que ne doit-on point croire à plus forte raison du Monarque des Monarques, du Roi des Rois, et du Créateur de toutes choses (à l’exemple duquel les princes de ce monde sont établis sur la Terre) qui, par son autorité, donne le mouvement à tout ce qu’il a créé ? Quel mouvement ? Quel tremblement lorsque toute l’armée céleste qui l’environne se meut autour de lui ? Mais quelques moqueurs demanderont peut-être : Comment, Monsieur le Philosophe, savez-vous cela, vu que les choses célestes sont cachées à l’entendement humain ? Nous leur répondrons que toutes ces choses sont connues aux Philosophes, et même que l’incompréhensible Sagesse de Dieu leur a inspiré que tout avait été créé à l’exemple de la Nature, laquelle nous donne une fidèle représentation de tous ces secrets par ses opérations journalières, d’autant qu’il ne se fait rien sur la Terre qu’à l’imitation de la céleste Monarchie, commr il appert par les divers offices des Anges. De même aussi il ne naît et ne s’engendre rien sur la Terre que naturellement ; en telle sorte que toutes les inventions des Hommes, et même tous les artifices qui sont aujourd’hui ou seront pratiqués à l’avenir ne proviennent que des fondements de la Nature.

Le Créateur tout-puissant a bien voulu manifester à l’Homme toutes les choses naturelles ; et c’est la raison pour laquelle il nous a voulu montrer aussi les choses célestes qui ont été naturellement faites, afin que, par ce moyen, l’Homme puisse mieux connaître son absolue puissance et incompréhensible Sagesse : ce que les Philosophes peuvent voir dans la lumière de Nature comme dans un miroir. C’est pourquoi, s’ils ont eu cette science en grande estime et qu’ils l’aient recherchée avec tant de soin, ce n’a pas été pour le désir de posséder l’or ni l’argent, mais ils s’y sont portés pour les deux motifs que nous avons avancés, c’est-à-dire pour avoir une ample connaissance non seulement de toutes choses naturelles, mais encore de la puissance de leur Créateur. Et si, après être parvenus à leur fin désirée, ils n’ont parlé de cette Science que par figures, et encore très peu, c’est qu’ils n’ont pas voulu éclaircir aux ignorants les mystères divins qui nous conduisent à la parfaite connaissance des actions de la Nature.

Si donc tu te peux connaître toi-même et que tu n’aies l’entendement trop grossier, tu comprendras facilement comment tu es fait à la ressemblance du grand Monde et même à l’image de ton Dieu. Tu as en ton corps l’anatomie de tout l’Univers ; car tu as au plus haut lieu de ton corps la quintessence des quatre Eléments, extraite des spermes confusément mêlés dans la matrice et comme resserrée plus outre dans la peau. Au lieu du Feu, tu as un très pur sang, dans lequel réside l’âme en forme d’un roi, par le moyen de l’esprit vital. Au lieu de la Terre, tu as le cœur, dans lequel est le Feu central qui opère continuellement et conserve en son être la machine de ce microcosme ; la bouche te sert de Pôle arctique, le ventre de Pôle antarctique ; et ainsi des autres membres qui ont tous une correspondance avec les corps célestes : de quoi nous traiterons quelque jour plus amplement dans notre Harmonie, au chapitre de l’Astronomie, où nous avons décrit que l’Astronomie est un Art facile et naturel, comment les aspects des Planètes et des Etoiles causent des effets, et pourquoi, par le moyen de ces aspects, on pronostique des pluies et autres accidents : ce qui serait trop long à raconter en ce lieu. Et toutes ces choses, liées et enchaînées ensemble, donnent naturellement une plus ample connaissance de la Divinité. Nous avons bien voulu faire remarquer ce que les Anciens ont omis, tant afin que le diligent scrutateur de ce secret comprît plus clairement l’incompréhensible puissance du Très-Haut, que pour qu’il l’aimât et adorât aussi avec plus d’ardeur.

Que l’inquisiteur de cette Science sache donc que l’âme de l’Homme tient en ce microcosme le lieu de Dieu son Créateur, et lui sert comme de Roi, laquelle est placée en l’esprit vital dans un sang très pur. Cette âme gouverne l’esprit, et l’esprit gouverne le corps. Quand l’âme a conçu quelque chose, l’esprit sait quelle est cette conception, laquelle il fait entendre aux membres du corps, qui obéissant, attendent avec ardeur les commandements de l’âme pour les mettre à exécution et accomplir sa volonté. Car le corps, de soi-même, ne sait rien ; tout ce qu’il y a de force ou de mouvement dans le corps, c’est l’esprit qui le fait : s’il connaît les volontés de l’âme, il ne les exécute que par le moyen de l’esprit ; en sorte que le corps n’est seulement à l’esprit que comme un instrument dans les mains d’un artiste. Ce sont là les opérations que l’âme raisonnable, par laquelle l’Homme diffère des brutes, fait dans le corps ; mais elle en fait de plus grandes et de plus nobles lorsqu’elle en est séparée, parce qu’étant hors du corps, elle est absolument indépendante et maîtresse de ses actions. Et c’est en cela que l’Homme diffère des autres bêtes, à cause qu’elles n’ont qu’un esprit, mais non pas une âme participante de la Divinité. De même aussi notre Seigneur et le Créateur de toutes choses opère en ce monde ce qu’il sait lui être nécessaire ; et, parce que ses opérations s’étendent dans toutes les parties du monde, il faut croire qu’il est partout : mais il est aussi hors du monde, parce que son immense Sagesse fait des opérations hors du monde et forme des conceptions si hautes et si relevées que tous les Hommes ensemble ne les sauraient comprendre. Et ce sont là les secrets surnaturels de Dieu seul.

Comme nous en avons un exemple dans l’âme, laquelle étant séparée de son corps conçoit des choses très profondes et très hautes et est en cela semblable à Dieu, lequel hors de son monde opère surnaturellement, quoique à vrai dire, les actions de l’âme hors de son corps, en comparaison de celles de Dieu hors du monde, ne soient que comme une chandelle allumée au respect de la lumière du Soleil en plein midi, parce que l’âme n’exécute qu’en idée les choses qu’elle s’imagine ; mais Dieu donne un être réel à toutes les choses au même moment qu’il les conçoit. Quand l’âme de l’homme s’imagine d’être à Rome ou ailleurs, elle y est en un clin d’œil, mais seulement pas l’esprit, et Dieu, qui est tout-puissant, exécute essentiellement ce qu’il a conçu. Dieu n’est donc renfermé dans le monde que comme l’âme est dans le corps ; il a son absolue puissance séparée du monde, comme l’âme de chaque corps a un absolu pouvoir séparé d’avec lui ; et, par ce pouvoir absolu, elle peut faire des choses si hautes que le corps ne le saurait comprendre. Elle peut donc beaucoup sur notre corps, car autrement notre Philosophie serait vaine. Apprends donc, ce qui a été dis ci-dessus, à connaître Dieu, et tu sauras la différence qu’il y a entre le Créateur et les créatures : puis après, de toi-même tu pourras concevoir des choses encore plus grandes et plus relevées, vu que nous t’avons ouvert la porte. Mais afin de ne pas grossir cet ouvrage, retournons à notre propos.

Nous avons déjà dit que le Feu est un Elément très tranquille et qu’il est excité par in mouvement, mais il n’y a que les hommes sages qui connaissent la manière de l’exciter. Il est nécessaire aux Philosophes de connaître toutes les générations et toutes les corruptions : mais, bien qu’ils voient à découvert la création du Ciel et la composition et le mélange de toutes choses, et qu’ils sachent tout, ils ne peuvent pas tout faire. Nous savons bien la composition de l’Homme en toutes ses qualités, mais nous ne lui pouvons pas infuser une âme, car ce mystère appartient à Dieu seul, qui surpasse tout par ces infinis mystères surnaturels, et, comme ces choses sont hors de la Nature, elles ne sont pas en sa disposition. La Nature ne peut pas opérer qu’auparavant on ne lui fournisse une matière : le Créateur lui donne la première matière et les Philosophes lui donnent la seconde. Mais en l’œuvre philosophique, la Nature doit exciter le Feu que Dieu a enfermé dans le centre de chaque choses. L’excitation de ce Feu se fait par la volonté de la Nature : car naturellement le Feu purifie toute espèce d’impureté. Tout corps composé se dissout par le Feu. Et comme l’eau lave et purifie toutes les choses fixes et les mène à la perfection. Comme l’eau conjoint, le corps dissout ; de même le Feu sépare tous les corps conjoints ; et tout ce qui participe de sa nature et propriété, il le purge très bien et l’augmente non pas en quantité, mais en vertu.

Cet Elément agit occultement par de merveilleux moyens, tant contre les autres Eléments que contre toutes autres choses. Car comme l’âme raisonnable a été faite de ce Feu très pur, de même l’âme végétable a été faite du Feu élémentaire que la Nature gouverne.

Cet Elément agit sur le centre de chaque chose en cette manière : la Nature donne le mouvement ; ce mouvement excite l’air ; l’air excite le Feu ; le Feu sépare, purge, digère, colore et fait mûrir toute espèce de semence, laquelle, étant mûre, il pousse (par le moyen du sperme) dans des matrices qui sont ou pures ou impures, plus ou moins chaudes, sèches ou humides ; et, selon la disposition du lieu ou de la matrice, plusieurs choses sont produites dans la Terre, comme nous avons écrit au livre des douze Traités où, faisant mention des matrices, nous avons dit qu’autant de lieux, autant de matrices. Dieu le Créateur a fait et ordonné toutes les choses de ce monde ; en sorte que l’une est contraire à l’autre, mais d’une manière toutefois que la mort de l’une est la vie de l’autre : ce que l’un produit, l’autre le consume et, de ce sujet détruit, il se produit naturellement quelque chose de plus noble ; de sorte que, par ces continuelles destructions et régénérations, l’égalité des Eléments se conserve. Et c’est aussi de cette manière que la séparation des parties de tous les corps composés, particulièrement des vivants, cause leur mort naturelle, C’est pourquoi il faut naturellement que l’Homme meure, parce qu’étant composé des quatre Eléments, il est sujet à la séparation, vu que les parties de tout corps composé se séparent naturellement l’une de l’autre. Mais cette séparation de l’humaine composition ne se devait seulement faire qu’au jour du Jugement : car l’Homme (selon l’Ecriture et les théologiens) avait été créé immortel dans le Paradis terrestre. Toutefois, aucun Philosophe, jusqu’à présent, n’a encore su rendre la raison suffisante pour la preuve de cette immortalité, la connaissance de laquelle est convenable aux inquisiteurs de cette Science, afin qu’ils puissent connaître comme ces choses se font naturellement et peuvent être naturellement entendues. Il est très vrai, et personne ne doute, que tout composé ne soit sujet à corruption et qu’il ne se puisse séparer (laquelle séparation, au règne animal, s’appelle mort), mais de faire voir comment l’Homme, bien que composé des quatre Eléments, puisse naturellement être immortel, c’est une chose bien difficile à croire et qui semble même surpasser les forces de la Nature. Toutefois, Dieu a inspiré dès longtemps aux hommes de bien et vrais Philosophes, comment cette immortalité pouvait être naturellement en l’Homme, laquelle nous te ferrons entendre en cette manière.

Dieu avait créé le Paradis terrestre des vrais Eléments, non élémentés mais très purs, tempérés et conjoints ensemble en leur plus grande perfection : de manière que, comme ils étaient incorruptibles, tout ce qui provenait d’eux également et très parfaitement conjoints devait être immortel ; car cette égale et très parfaite conjonction ne peut pas souffrir de désunion et de séparation. L’Homme avait été créé de ces Eléments incorruptibles conjoints ensemble par une juste égalité, en telle sorte qu’il ne pouvait pas être corrompu ; c’est pourquoi il avait été destine pour l’immortalité, parce que Dieu, sans doute, n’avait créé ce Paradis que pour la demeure des Hommes seulement. Nous en parlerons plus amplement dans notre Traité de l’Harmonie, où nous décrirons le lieu où il est situé. Mais après que l’Homme, par son péché de désobéissance, eut transgressé les commandements de Dieu, il fût banni du Paradis terrestre et Dieu le renvoya dans ce monde corruptible et élémenté qu’il avait seulement créé pour les bêtes, dans lequel, ne pouvant pas vivre sans nourriture, il fut contraint de se nourrir des éléments élémentés corruptibles qui infectèrent les purs Eléments dont il avait été créé : et ainsi il tomba peu à peu dans la corruption, jusqu’à ce qu’une qualité prédominant sur l’autre, tout l’entier composé ait été corrompu, qu’il ait été attaqué de plusieurs infirmités et qu’enfin la séparation et la mort s’en soient ensuivies. Et après, les enfants des premiers Hommes ont été plus proches de la corruption et de la mort, parce qu’ils n’avaient pas été créés dans le Paradis terrestre et qu’ils avaient été engendrés dans ce monde composé des Eléments élémentés corrompus et d’une semence corruptible, parce que la semence produite des aliments corruptibles ne pouvait pas être de longue durée et incorruptible. Et ainsi d’autant plus les Hommes se trouvent éloignés du temps de ce bannissement du Paradis terrestre, d’autant plus ils approchent de la corruption et de la mort : d’où il s’ensuit que notre vie est plus courte que n’était celle des Anciens ; et elle viendra jusqu’à ce point qu’on ne pourra plus procréer son semblable à cause de sa brièveté. II y a toutefois des lieux qui ont l’air plus pur, et ou les constellations sont si favorables, qu’elles empêchent que la Nature ne se corrompe si tôt, et font aussi que les Hommes vivent plus naturellement ; mais les intempérés accourcissent leur vie par leur mauvais régime de vivre. L’expérience nous montre aussi que les enfants des pères valétudinaires ne font pas de longue vie. Mais si l’Homme fût demeuré dans le Paradis terrestre, lieu convenable à sa nature, où les Eléments incorruptibles sont tous vierges, il aurait été immortel dans toute l’Eternité. Car il est certain que le sujet qui provient de l’égale commixtion des Eléments purifiés doit être incorrompu. Et telle doit être la Pierre philosophale, dont la confection (selon les anciens Philosophes) a été comparée à la création de l’Homme. Mais les Philosophes modernes prenant toutes choses à la lettre, ne se proposent pour exemple que la corrompue génération des choses de ce siècle, qui ne sont produites que des Eléments corruptibles, au lieu de prendre celles qui sont faites des Eléments incorruptibles.

Cette immortalité de l’Homme a été la principale cause que les Philosophes ont recherché cette Pierre ; car ils ont su qu’il avait été créé des plus purs et parfaits Eléments ; et, méditant sur cette création qu’ils ont connue pour naturelle, ils ont commencé à rechercher soigneusement, savoir s’il était possible d’avoir ces éléments incorruptibles ou s’il se pouvait trouver quelque sujet dans lequel ils fussent conjoints et infus : auxquels Dieu inspira que la composition de tels éléments était dans l’Or ; car il est impossible qu’elle soit dans les animaux, vu qu’ils se nourrissent des éléments corrompus ; qu’elle soit dans les végétaux, cela ne se peut encore, parce qu’on remarque en eux l’inégalité des éléments. Mais comme toute chose créée tend à sa multiplication, les Philosophes se sont proposés d’éprouver cette possibilité de Nature dans le règne minéral : et, l’ayant trouvée, ils ont découvert un nombre infini de secrets naturels, desquels ils ont fort peu parlé parce qu’ils ont jugé qu’il n’appartenait qu’à Dieu seul à les révéler.

De là tu peux connaître comment les Eléments corrompus tombent dans un sujet et comme ils se séparent lorsque l’un surpasse l’autre : et parce qu’alors la putréfaction se fait par la première séparation, et que la séparation du pur d’avec l’impur se fait par la putréfaction ; s’il advient qu’il se fasse une nouvelle conjonction par la vertu du Feu centrique, c’est alors que le sujet acquiert une plus noble forme que la première. Car en ce premier état, le gros mêlé avec le subtil étant corrompu, il n’a pu être purifié ni amélioré que par la putréfaction ; et cela ne peut être fait que par la force des quatre Eléments qui se rencontrent en tous les corps composés. Car, quand le composé doit se désunir, il se résout en eau ; et quand les Eléments sont ainsi confusément mêlés, le Feu qui est en puissance dans chacun des autres Eléments, comme dans la Terre et dans l’Air, joignent ensemble leurs forces, et, par leur mutuel concours, surpassent le pouvoir de l’Eau, laquelle ils digèrent, cuisent et, enfin, congèlent ; et par ce moyen la Nature aide à la Nature. Car si le Feu central caché (qui était privé de vie) est le vainqueur, il agit sur ce qui est plus pur et plus proche de sa nature et se joint avec lui ; et c’est de cette manière qu’il surmonte son contraire et sépare le pur de l’impur : d’où s’engendre une nouvelle forme, beaucoup plus noble que la première si elle est encore aidée. Quelquefois même, par l’industrie d’un habile artiste, il s’en fait une chose immortelle, principalement au règne minéral. De sorte que toutes choses se font, et sont amenées à un être parfait, par le seul Feu bien et dûment administré, si tu m’as entendu.

Tu as donc en ce Traité l’origine des Eléments, leur nature et leur opération, succinctement décrites : ce qui suffit en cet endroit pour notre intention. Car autrement, si nous voulions faire la description de chaque Elément comme il est, il en naîtrait un grand volume, ce qui n’est pas nécessaire à notre sujet : mais nous remettons toutes ces choses à notre Traité de l’Harmonie, où Dieu aidant, si nous sommes encore en vie, nous expliquerons plus amplement les choses naturelles.

Chapitre VI

Des trois principes de toutes choses

Après avoir décrit ces quatre Elémcnts, il faut parler des trois Principes des choses et montrer comment ils ont été immédiatement produits des quatre Eléments. Ce qui s’est fait en cette manière.

Incontinent après que Dieu eut constitué la Nature pour régir toute la Monarchie du monde, elle commença à distribuer à chaque chose des places et des dignités selon leurs mérites. Elle constitua premièrement les quatre Eléments, princes du monde ; et afin que la volonté du Très-Haut (de laquelle dépend toute la Nature) fût accomplie, elle ordonna que chacun de ces quatre Eléments agirait incessamment sur l’autre. Le Feu commença donc d’agir contre l’Air, et de cette action fut produit le Soufre ; l’Air pareillement commença à agir contre l’Eau, et cette action a produit le Mercure ; l’Eau aussi commença à agir contre la Terre, et le Sel a été produit de cette action. Mais la Terre, ne trouvant plus d’autre Elément contre qui elle pût agir, ne put aussi rien produire ; mais elle retint en son sein ce que les trois autres Eléments avaient produit. C’est la raison pour laquelle il n’y a que trois Principes, et que la Terre demeure la matrice et la nourrice des autres Eléments.

II y eut (comme nous avons dit) trois Principes produits : ce que les anciens Philosophes n’ayant pas si exactement considéré, n’ont fait mention seulement que de deux actions des Eléments. Car qui pourra juger s’ils ne les avaient pas connus tous trois et qu’ils nous aient voulu industrieusement cacher l’un d’iceux, puisqu’ils n’ont écrit que pour les enfants de la Science et qu’ils ont dit que le Soufre et le Mercure étaient la matière des métaux, et même de la Pierre des Philosophes, et que ces deux Principes nous suffisaient ?

Quiconque veut donc rechercher cette sainte Science doit nécessairement savoir les accidents, et connaître l’accident même, afin qu’il apprenne à quel sujet ou à quel Elément il se propose d’arriver, et afin qu’il procède par des milieux ou moyens convenables, s’il désire accomplir le nombre quaternaire. Car, comme les quatre Eléments ont produit les trois Principes, de même, en diminuant, il faut que ces trois en produisent deux, savoir le mâle et la femelle, et que ces deux en produisent un qui soit incorruptible, dans lequel ces quatre Eléments doivent être anatiques, c’est-à-dire également puissants, parfaitement digérés et purifiés : et ainsi le quadrangle répondra au quadrangle. Et c’est là cette quintessence beaucoup nécessaire à tout artiste, séparée des Eléments, exempte de leur contrariété. Et de cette sorte tu trouveras en chaque composé physique dans ces trois Principes un corps, un esprit et une âme cachée : et si tu conjoins ensemble ces trois Principes, après les avoir séparés et bien purgés (comme nous avons dit) sans doute en imitant la Nature, ils te donneront un fruit très pur. Car encore que l’âme soit prise d’un très noble lieu, elle ne saurait néanmoins arriver où elle tend, que par le moyen de son esprit qui est le lieu et le domicile de l’âme ; laquelle, si tu veux faire rentrer en un lieu dû, il la faut premièrement laver de tout péché et que le lieu soit aussi purifié, afin que l’âme puisse être glorifiée en icelui et qu’elle ne s’en puisse plus jamais séparer.

Tu as donc maintenant l’origine des trois Principes, desquels, en imitant la Nature, tu dois produire le Mercure des Philosophes et leur première matière, et rapporter à ton intention les Principes des choses naturelles, et particulièrement des métaux. Car il est impossible que sans ces Principes tu mènes quelque chose à perfection par le moyen de l’Art, puisque la Nature même ne peut rien faire ni produire sans eux. Ces trois Principes sont en toutes choses et, sans eux, il ne se fait rien au monde et jamais ne se fera rien naturellement.

Mais parce que nous avons écrit ci-dessus que les anciens Philosophes n’ont fait mention que de deux Principes seulement : afin que l’inquisiteur de la Science ne se trompe pas, il faut qu’il sache qu’encore qu’ils n’aient parlé que du Soufre et du Mercure, néanmoins sans Sel ils n’eussent jamais pu arriver à la perfection de cet œuvre, puisque c’est lui qui est la clef et le Principe de cette divine Science. C’est lui qui ouvre les portes de la justice ; c’est lui qui a les clefs pour ouvrir les prisons dans lesquelles le Soufre est enfermé, comme je le déclarerai quelque jour plus amplement en écrivant du Sel, dans notre troisième traité des Principes. Maintenant retournons à notre propos.

Ces trois Principes nous sont absolument nécessaires, parce qu’ils sont la matière prochaine : car il y a deux matières des métaux, l’une plus proche, l’autre plus éloignée. La plus proche sont le Soufre et le Mercure : la plus éloignée sont les quatre Eléments, desquels il n’appartient qu’à Dieu seul de créer les choses. Laisse donc les Eléments, parce que tu ne feras rien d’iceux et que tu ne saurais produire que ces trois Principes, vu que la Nature même n’en peut produire autre chose. Et si des quatre Eléments tu ne peux rien produire que les trois Principes, pourquoi t’amuses-tu à un si vain labeur, que de chercher ou vouloir faire ce que la Nature a déjà engendré ? Ne vaut-il pas mieux cheminer trois mille lieues que quatre ? Qu’il te suffise donc d’avoir les trois Principes, dont la Nature produit toutes choses dans la Terre et sur la Terre, lesquels aussi tu trouveras entièrement en toutes choses. De leur due séparation et conjonction, la Nature produit dans le règne minéral les métaux et les pierres ; dans le règne végétal, les arbres, les herbes, et autres choses ; et dans le règne animal, le corps, l’esprit et l’âme : ce qui cadre très bien avec l’œuvre des Philosophes. Le corps, c’est la Terre ; l’esprit, c’est l’Eau ; l’âme, c’est le Feu, ou le soufre de l’Or. L’esprit augmente la quantité du corps, et le Feu augmente la vertu. Mais parce que, eu égard au poids, il y a plus d’esprit que de Feu, l’esprit s’exalte, opprime le Feu et l’attire à soi : de manière qu’un chacun de ces deux s’augmente en vertu, et la Terre, qui fait le milieu entre eux, croît en poids.

Que tout inquisiteur de l’Art détermine donc en son esprit quel est celui des trois Principes qu’il cherche, et qu’il le secoure afin qu’il puisse vaincre son contraire ; et, puis après, qu’il ajoute son poids au poids de la Nature, afin que l’Art accomplisse le défaut de la Nature : et ainsi le Principe qu’il cherche surmontera son contraire. Nous avons dit, au chapitre de l’Elément de la Terre, qu’elle n’est que le réceptacle des autres Eléments ; c’est-à-dire le sujet dans lequel le Feu et l’Eau se combattent par l’intervention de l’Air. Que si, en ce combat, l’Eau surmonte le Feu, elle produit des choses de peu de durée et corruptibles ; mais que si le Feu surmonte l’Eau, il produit des choses perpétuelles et incorruptibles. Considère donc ce qui t’est nécessaire.

Sache encore que le Feu et l’Eau sont en chaque chose ; mais ni le Feu ni l’Eau ne produisent rien, parce qu’ils ne font seulement que disputer et combattre ensemble qui des deux aura plus de vitesse et de vertu : ce qu’ils ne sauraient faire d’eux-mêmes s’ils n’étaient excités par une chaleur extrinsèque que le mouvement des vertus célestes allume au centre de la Terre, sans laquelle chaleur le Feu et l’Eau ne seraient jamais rien et chacun d’eux demeurerait toujours en son terme et en son poids. Mais après que la Nature les a tous deux conjoints dans un sujet en une due et convenable proportion, alors elle les excite par une chaleur extrinsèque ; et ainsi le Feu et l’Eau commencent à combattre l’un contre l’autre, et chacun d’eux appelle son semblable à son secours ; et, en cette sorte, ils montent et croissent jusqu’à ce que la Terre ne puisse plus monter avec eux. Pendant qu’ils sont tous deux retenus dans la Terre, ils se subtilisent : car la Terre est le sujet dans lequel le Feu et l’Eau montent sans cesse et produisent leur action par les pores de la Terre que l’Air leur a ouverts et préparés ; et de cette subtilisation du Feu et de l’Eau naissent des leurs et des fruits, dans lesquels le Feu et l’Eau deviennent amis, comme on peut voir aux arbres. Car plus l’Eau et le Feu sont subtilisés et purifiés en montant, ils produisent de plus excellents fruits : principalement si, lorsque le Feu et l’Eau finissent leur opération, leurs forces unies ensemble sont également puissantes.

Ayant donc purifié les choses desquelles tu veux te servir, fais que le Feu et l’Eau deviennent amis (ce qu’ils feront facilement dans leur Terre qui était montée avec eux) : alors tu achèveras ton ouvrage plutôt que la Nature, si tu sais bien conjoindre l’Eau avec le Feu selon le poids de la Nature, non pas comme ils ont été auparavant, mais comme la Nature le requiert et comme il t’est nécessaire ; parce que, dans tous les composés, la Nature met moins de Feu que des trois autres Eléments. Il y a toujours moins de Feu ; mais la Nature, selon son pouvoir, ajoute un Feu extrinsèque pour exciter l’interne, selon le plus ou le moins qu’il est de besoin à chaque chose, et ce pendant un plus long ou un plus petit espace de temps. Et selon cette opération, si le Feu intrinsèque surmonte ou est surmonté par les autres Eléments, il en arrive des choses parfaites ou imparfaites, soit ès minéraux, ou ès végétaux. A la vérité le Feu extrinsèque n’entre pas essentiellement en la composition de la chose, mais seulement en vertu, parce que le Feu intrinsèque matériel contient en soi tout ce qui lui est nécessaire, pourvu qu’il ait seulement de la nourriture ; et le Feu extrinsèque lui sert de nourriture, de même que le bois entretient le Feu élémentaire et, suivant le plus ou le moins qu’il a de nourriture, il croît et se multiplie.

II se faut toutefois donner de garde que le Feu extrinsèque ne soit trop grand, parce qu’il suffoquerait l’intrinsèque ; de même que si un homme mangeait plus qu’il ne pourrait, il serait bientôt suffoqué : une grande flamme dévore un petit feu. Le Feu extrinsèque doit être multiplicatif, nourrissant et non pas dévorant : car de cette manière les choses viennent à leur perfection. La décoction donc est la perfection de toutes choses : et ainsi la Nature ajoute la vertu au poids et perfectionne son ouvrage. Mais, à cause qu’il est difficile d’ajouter quelque chose au composé vu que cela demande un long travail, je te conseille d’ôter autant du superflu qu’il en est besoin et que la Nature le requiert : mêle-le aux superfluités ôtées ; la Nature te montrera après ce que tu as cherché. Tu connaîtras même si la Nature a bien ou mal conjoint les Eléments, vu que tous les Eléments ne subsistent que par leur conjonction. Mais plusieurs artistes sèment de la paille pour du blé froment ; quelques-uns sèment l’un et l’autre ; plusieurs rejettent ce que les Philosophes aiment, et quelques-uns commencent et achèvent en même temps : ce qui n’arrive que par leur inconstance. Ils professent un Art difficile, et ils cherchent un travail facile. Ils rejettent les bonnes matières et sèment les mauvaises. Et comme les bons auteurs, au commencement de leurs livres, cachent cette Science, de même les artistes, au commencement de leur travail, rejettent la vraie matière. Nous disons que cet Art n’est autre chose que les vertus des Eléments également mêlées ensemble, une égalité naturelle du chaud, du froid, du sec et de l’humide ; une conjonction du mâle et de la femelle, et que cette même femelle a engendré ce mâle, c’est-à-dire une conjonction du Feu et de l’humide radical des métaux, considérant que le Mercure des Philosophes a en soi son propre Soufre, qui est d’autant meilleur que la Nature l’a plus ou moins cuit et dépuré. Tu pourras parfaire toutes ces choses du Mercure. Que si tu sais ajouter ton poids au poids de la Nature, en doublant le Mercure et triplant le Soufre, il deviendra dans peu de temps bon et, après, meilleur, et, enfin, très bon, quoiqu’il n’y ait qu’un seul Soufre apparent, et deux Mercures d’une même racine, ni trop crus ni trop cuits, mais toutefois purgés et dissous, si tu m’as entendu.

II n’est pas nécessaire que je déclare par écrit la matière du Mercure des Philosophes ni la matière de leur Soufre. Jamais homme n’a encore pu jusqu’à présent, et ne pourra même à l’avenir, la déclarer plus ouvertement et plus clairement que les anciens Philosophes l’ont décrite et nommée, s’il ne veut être anathème de l’Art : car elle est si communément nommée qu’on n’en fait même pas d’état. C’est ce qui fait que les inquisiteurs de cette Science s’adonnent plutôt à la recherche de quelques vaines subtilités, que de demeurer en la simplicité de la Nature. Nous ne disons pas toutefois que le Mercure des Philosophes soit quelque chose commune et qu’il soit clairement nommé par son propre nom, mais qu’ils ont sensiblement désigné la matière de laquelle les Philosophes extraient leur Mercure et leur Soufre : parce que le Mercure des Philosophes ne se trouve point de soi sur la Terre, mais se tire par artifice du Soufre et du Mercure conjoints ensemble ; il ne se montre point, car il est nu : néanmoins, la Nature l’a merveilleusement enveloppé.

Pour conclure, nous disons en répétant que le Soufre et le Mercure conjoints toutefois ensemble) sont la minière de notre argent-vif, lequel a le pouvoir de dissoudre les métaux, de les mortifier et de les vivifier. Il a reçu cette puissance du Soufre aigre qui est de même nature que lui.

Mais afin que tu puisses mieux comprendre, écoute quelle différence il y a entre notre argent-vif et celui du vulgaire. L’argent-vif vulgaire ne dissout point l’Or ni l’Argent et ne se mêle point avec eux inséparablement : mais notre argent-vif dissout l’Or et l’Argent ; et si une fois il s’est mêlé avec eux, on ne les peut jamais séparer, non plus que de l’eau mêlée avec de l’eau. Le Mercure vulgaire a en soi un Soufre combustible mauvais, qui le noircit ; notre Mercure a un Soufre incombustible, fixe, bon, très blanc, et rouge. Le Mercure vulgaire est froid et humide ; le nôtre est chaud et humide. Le Mercure vulgaire noircit et tache les corps ; notre argent-vif les blanchit jusqu’à les rendre clairs comme le cristal. Et, précipitant le Mercure vulgaire, on le convertit en une poudre de couleur de citron et en un mauvais Soufre ; au lieu que notre argent-vif, par le moyen de la chaleur, se convertit en un Soufre très blanc, fixe et fusible. Le Mercure vulgaire devient d’autant plus fusible qu’il est cuit : mais plus on donne de coction à notre argent-vif, plus il s’épaissit et se coagule.

Toutes ces circonstances te peuvent donc faire connaître combien il y a de différence entre le Mercure vulgaire et l’argent-vif des Philosophes. Que si tu ne m’entends pas encore, tu attendras en vain : n’espère point que jamais homme vivant te découvre les choses plus clairement que je viens de faire. Mais parlons à présent des vertus de notre argent-vif. Il a une vertu et une force si efficaces, que de soi il suffit assez et pour toi, et pour lui : c’est-à-dire que tu n’as besoin que de lui seul, sans aucune addition de chose étrangère, vu que, par sa seule décoction naturelle, il se dissout et se congèle lui-même. Mais les Philosophes, dans la concoction, pour accourcir le temps, y ajoutent son Soufre bien digeste et bien mûr, et font ainsi leur opération.

Nous eussions bien pu citer les Philosophes qui confirment notre discours ; mais parce que nos écrits sont plus clairs que les leurs, ils n’ont pas besoin de leur approbation : car quiconque les entendra, nous entendra bien aussi. Si tu veux donc suivre notre avis, nous te conseillons (avant que de t’appliquer à cet Art) que tu apprennes premièrement à retenir ta langue. Après, que tu aies à rechercher la nature des minières, des métaux et végétaux, parce que notre Mercure se trouve en tout sujet et que le Mercure des Philosophes se peut extraire de toute chose, quoiqu’on le trouve plus prochainement en un sujet qu’en un autre.

Sachez donc aussi pour certain, que cette Science ne consiste pas dans le hasard et dans une invention fortuite et casuelle, mais qu’elle est appuyée sur une réelle connaissance ; et il n’y a que cette seule matière au monde par laquelle et de laquelle on prépare la Pierre des Philosophes. Elle est véritablement en toutes choses du monde ; mais la vie de l’Homme ne serait pas assez longue pour en faire l’extraction. Si, toutefois, tu y travailles sans la connaissance des choses naturelles, principalement au règne minéral, tu seras semblable à un aveugle qui chemine par habitude. Quiconque travaille de cette sorte, son labeur est tout à fait fortuit et casuel ; et même (comme il arrive souvent), encore que quelqu’un par hasard travaille sur la vraie matière de notre argent-vif, néanmoins il advient qu’il cesse d’opérer là où il devrait commencer ; car, comme fortuitement il l’a trouvée, aussi la perd-il fortuitement, à cause qu’il n’a point de fondement sur lequel il puisse bien assurer son intention. C’est pourquoi cette Science est un pur don du Dieu Très-Haut et ne peut dire que difficilement connue, sinon par révélation divine ou par la démonstration qu’un ami nous en fait. Car nous ne pouvons pas être tous des Geber ni des Lulle ; et encore que Lulle fût un esprit très subtil, néanmoins si Arnault ne lui eût donné la connaissance de l’Art, certes il aurait ressemblé aux autres qui la recherchent avec tant de difficultés ; et Arnault même confesse l’avoir apprise d’un sien ami. Il est facile d’écrire à celui auquel la Nature dicte elle-même. Et, comme on dit en commun proverbe : Il est fort aisé d’ajouter à ce qui a déjà été inventé. Tout Art et toute Science est facile aux maîtres ; mais aux disciples qui ne font que commencer, il n’en va pas de même ; et, pour acquérir cette Science, il y faut un long temps, plusieurs vaisseaux, de grandes dépenses, un travail journalier, avec de grandes méditations ; mais toutes choses sont aisées et légères à celui qui les sait.

Nous disons en concluant que cette Science est un don de Dieu seul, et que celui qui en a la vraie connaissance le doit incessamment prier, afin qu’il lui plaise bénir cet Art de ses saintes grâces ; car sans la bénédiction divine, il est tout à fait inutile, comme nous l’avons nous-même expérimenté lorsque, pour cette Science, nous avons souffert de très grands dangers et que nous en avons reçu plus d’infortunes et d’incommodités que d’utilité ; mais c’est l’ordinaire des hommes de devenir sages un peu trop tard. Les jugements de Dieu sont plusieurs abîmes. Toutefois, dans toutes nos infortunes, nous avons toujours admiré la Providence divine, car notre souverain Créateur nous a toujours donné une telle protection qu’aucun de nos ennemis ne nous a jamais pu opprimer ; nous avons toujours eu notre Ange gardien, qui nous a été envoyé de Dieu, pour conserver cette Arche dans laquelle il a plu à Dieu de renfermer un si grand trésor, et qu’il protège jusqu’à présent. Nous avons ouï dire que nos ennemis sont tombés dans les lacs qu’ils avaient préparés ; que ceux qui avaient attenté à notre vie ont été privés de la leur ; que ceux qui se sont emparés de nos biens ont perdu leur bien propre ; quelques-uns même d’entre eux ont été chassés de leurs royaumes. Nous savons que plusieurs de ceux qui ont détracté contre notre honneur ont péri dans la honte et dans l’infamie, tant nous avons été assurés sous la garde du Créateur de toutes choses, qui, dès le berceau, nous a toujours conservé sous l’ombre de ses ailes et nous a inspiré un esprit d’intelligence des choses naturelles, auquel soit louange et gloire par infinis siècles des siècles.

Nous avons reçu tant de bienfaits du Très-Haut notre Créateur, que, tant s’en faut que nous les puissions écrire, que nous ne pouvons pas seulement les imaginer. A peine y a-t-il aucun des mortels à qui cette bonté infinie ait accordé plus de grâces, voire même autant, qu’elle a fait à nous. Plût à Dieu, en reconnaissance, que nous eussions assez de force, assez d’entendement et assez d’éloquence pour lui rendre les grâces que nous devons ; car nous confessons n’avoir pas tant mérité de nous-même, mais nous croyons que toute notre félicité est venue de ce que nous avons espéré, que nous espérons et espérerons toujours en lui. Car nous savons qu’il n’y a personne entre les mortels qui nous puisse aider, et que c’est de Dieu seul, notre Créateur, que nous devons espérer notre secours ; parce que c’est en vain que nous mettrions notre confiance en la personne des princes qui sont hommes mortels comme nous (selon le Psalmiste) : ils ont tous reçu de Dieu l’esprit de vie, lequel étant ôté, le reste n’est plus que poussière ; mais que c’est une chose très assurée de mettre son espérance en Dieu notre Seigneur, duquel (comme d’une source de bonté) tous les biens procèdent avec abondance.

Toi donc qui désires arriver au but de cette sainte Science, mets tout ton espoir en Dieu ton Créateur et le prie incessamment, et crois fermement qu’il ne t’abandonnera point : car s’il connaît que ton cœur soit franc et sincère et que tu aies fondé toute ton espérance en lui, il te donnera un moyen très facile et te montrera la voie que tu dois tenir pour jouir du bonheur que tu désires si ardemment. Le commencement de la sagesse est la crainte de Dieu : prie-le, et travaille néanmoins. Dieu, à la vérité, donne de l’entendement, mais il faut que tu en saches user ; car comme le bon entendement et la bonne occasion sont des dons de Dieu, de même nous les perdons aussi pour la peine de nos péchés.

Mais, pour retourner à notre propos, nous disons que l’argent-vif est la première matière de cet œuvre, et qu’effectivement il n’y a rien autre chose, puisque tout ce qu’on y ajoute a pris son origine de lui. Nous avons dit, en quelque endroit, que toutes les choses du monde se font et sont engendrées des trois Principes : mais nous en purgeons quelques-unes de leurs accidents, et, étant bien pures, nous les conjoignons derechef. En ajoutant ce que nous y devons ajouter, nous accomplissons ce qui y manque ; et en imitant la Nature, nous cuisons jusqu’au dernier degré de perfection ce que la Nature n’a pu parachever, à cause de quelque accident, et qu’elle a déjà fini où l’Art doit commencer. C’est pourquoi, si tu veux imiter la Nature, imite-la dans les choses auxquelles elle opère et ne te fâche point de ce que nos écrits semblent se contrarier en quelques endroits : il faut que cela soit ainsi, de crainte que l’Art ne soit trop divulgué. Mais pour toi, choisis les choses qui s’accordent avec la Nature, prends la rose et laisse les épines. Si tu prétends faire quelque métal, prends un métal pour fondement matériel, parce que d’un chien il ne s’en engendre qu’un chien, et d’un métal il ne s’engendre qu’un métal. Car sache pour certain, que si tu ne prends l’humide radical du métal parfaitement séparé, tu ne feras jamais rien : c’est en vain que tu laboures la terre si tu n’as aucun grain de froment pour y semer ; il n’y a qu’une seule matière, un seul art et une seule opération. Si donc tu veux produire un métal, tu le fermenteras par un métal : mais si tu veux produire un arbre, il faut que la semence d’un arbre de la même espèce que celui que tu veux produire te serve de ferment ou de levain pour cette production.

II n’y a (comme j’ai dit) qu’une seule opération, hors laquelle il n’y en a aucune autre qui soit vraie. Tous ceux-là donc se trompent, qui disent que, hors cette unique voie et cette seule matière naturelle, il y a quelque particulier qui est vrai : car on ne peut pas avoir aucune branche si elle n’est cueillie du tronc de l’arbre. C’est une chose impossible, et même une folle entreprise, de vouloir plutôt faire venir le rameau, que l’arbre d’où il doit sortir. Il est plus facile de faire la pierre, qu’aucun petit et très simple particulier qui soit utile et qui soutienne les épreuves comme le naturel. Il y en a néanmoins plusieurs qui se vantent de pouvoir faire une Lune fixe ; mais ils feraient mieux s’ils fixaient le plomb ou l’étain, vu qu’à mon jugement c’est une même chose, parce que ces choses ne résistent point à l’examen du feu, pendant qu’ils sont en leur propre nature. La Lune, en sa nature, est assez fixe et n’a pas besoin d’aucune fixation sophistique : mais comme il y a autant de têtes qu’il y a de sentiments, nous laissons à un chacun son opinion : que celui qui ne voudra pas suivre notre conseil, et imiter la Nature, demeure dans son erreur. A la vérité, on peut bien faire des particuliers, quand on a l’arbre, les rejetons duquel peuvent être entés à plusieurs autres arbres : tout ainsi qu’avec une eau on peut faire cuire diverses sortes de viandes, selon la diversité desquelles le bouillon aura diverse saveur, et néanmoins ne sera fait que d’une même eau et d’un même principe.

Nous concluons donc qu’il n’y a qu’une unique Nature, tant ès métaux qu’ès autres choses ; mais son opération est diverse. Il y a aussi, selon Hermès, une matière universelle. Ainsi d’une seule choses toutes choses ont pris leur origine.

II y a toutefois plusieurs artistes qui travaillent chacun à leur fantaisie : ils cherchent une nouvelle matière ; c’est pourquoi aussi ils trouvent un nouveau rien récemment inventé, parce qu’ils interprètent les écrits des Philosophes selon le sens littéral et ne regardent pas la possibilité de la Nature. Mais ces sortes de gens sont compagnons de ceux dont nous avons parlé en notre Dialogue du Mercure avec l’Alchymiste, lesquels retournèrent en leurs maisons sans avoir rien conclu : ils cherchent la fin de l’œuvre non seulement sans aucun instrument moyen, mais encore sans aucun principe. Et cela vient de ce qu’ils s’efforcent de parvenir à cet Art sans en avoir appris les véritables fondements, ou par la méditation des ouvrages de la Nature, ou par la lecture des livres des Philosophes, et qu’ils s’amusent aux recettes sophistiques de quelques coureurs (quoiqu’à présent les livres des Philosophes ont pu être altérés et corrompus en plusieurs endroits par les envieux qui ont ajouté ou diminué, selon leur caprice et à leur fantaisie). Et après, comme ils ne réussissent pas, ils ont recours aux sophistications et font une infinité de vaines épreuves en blanchissant, rubifiant, fixant la Lune, tirant l’âme de l’Or : ce que nous avons soutenu ne se pouvoir faire dans notre Préface des douze Traités. Nous ne voulons pas nier, mais au contraire nous croyons qu’il est absolument nécessaire d’extraire l’âme métallique, non pas pour l’employer aux opérations sophistiques, mais à l’œuvre des Philosophes : laquelle âme, ayant été extraite et étant bien purgée, doit être derechef jointe à son corps, afin qu’il se fasse une véritable résurrection du corps glorifié. Nous ne nous sommes jamais proposé de pouvoir multiplier le froment sans un grain de froment : mais saches aussi qu’il est très faux que cette âme extraite puisse teindre quelque autre métal par un moyen sophistique ; et tous ceux qui font gloire de ce travail sont des faussaires et des menteurs. Mais nous parlerons plus amplement de ces opérations dans notre troisième Traité du Sel, vu que ce n’est pas ici le lieu de s’étendre sur ce sujet.

Chapitre VII

Du Soufre

C’est avec raison que les Philosophes ont attribué le premier degré d’honneur au Soufre, comme à celui qui est le plus digne des trois Principes, en la préparation duquel toute la Science est cachée. Il y a trois sortes de Soufres, qu’il faut choisir parmi toutes autres choses. Le premier est un Soufre teignant ou colorant : le second, un Soufre congelant le Mercure ; et le troisième, un Soufre essentiel qui amène à maturité, duquel, à la vérité, nous devions sérieusement traiter. Mais parce que nous avons déjà fini l’un des Principes par un Dialogue, nous sommes encore obligés de terminer les autres en la même forme, pour ne sembler pas faire injure plutôt à l’un qu’à l’autre.

Le Soufre est le plus mûr des trois Principes, et le Mercure ne se saurait congeler que par le Soufre, de manière que toute notre opération en cet Art ne doit être autre que d’apprendre à tirer le Soufre du corps des métaux, par le moyen duquel notre argent-vif se congèle en Or et en Argent dans les entrailles de la Terre. Dans cet œuvre, ce Soufre nous sert de mâle : c’est la raison pour laquelle il passe pour le plus noble, et le Mercure lui tient lieu de femelle. De la composition et de l’action de ces deux sont engendrés les Mercures des Philosophes.

Nous avons décrit au Dialogue du Mercure avec l’Alchymiste, l’assemblée que firent les Alchymistes pour consulter entre eux de quelle manière et en quelle façon il fallait faire la Pierre des Philosophes. Nous avons aussi dit comme ils furent surpris d’un grand orage, qui les contraignit de se séparer sans avoir rien conclu, et comme ils se dispersèrent presque par tout l’Univers. Car cette grande tempête et ce vent impétueux souffla si fortement à la tête de quelques-uns d’entre eux et les éloigna tellement les uns des autres, que depuis ce temps-là ils n’ont pu se rassembler. D’où il est arrivé qu’un chacun d’eux s’imagine encore diverses chimères et veut faire la Pierre suivant son caprice et à sa fantaisie. Mais entre tous ceux de cette congrégation, laquelle était composée de toutes sortes de gens de diverses nations et de différentes conditions, il y eut encore un Alchymiste, duquel nous allons parler dans ce Traité.

C’était un bon Homme, d’ailleurs, mais qui ne pouvait rien conclure. Il était du nombre de ceux qui proposent de trouver fortuitement la Pierre Philosophale : Il était aussi compagnon de ce Philosophe qui avait eu dispute avec le Mercure. Celui-ci parlait de cette sorte : Si j’avais eu le bonheur de m’entretenir avec le Mercure, je l’aurais pressé en peu de paroles et lui aurais tiré tous ses secrets les plus cachés. Mon camarade fut un grand fol (disait-il) de n’avoir pas su procéder avec lui. Quand à moi, le Mercure ne m’a jamais plu, et ne crois pas même qu’il contienne rien de bon : mais j’approuve fort le Soufre, parce que, dans notre assemblée, nous en disputâmes très bien ; et je crois que si la tempête ne nous eût détournés et n’eût pas rompu notre conversation, nous eussions enfin conclu que c’était la première matière, parce que je n’ai pas coutume de concevoir de petites choses et qua ma tête n’est remplie que de profondes imaginations. Et il se confirma tellement dans cette opinion, qu’il prit résolution de travailler sur le Soufre. Il commença donc à le distiller, le sublimer, le calciner, le fixer et en extraire l’huile par la campane : tantôt il le prit tout seul, tantôt il le mêla avec des cristaux, tantôt avec des coquilles d’œufs et en fit plusieurs autres épreuves. Et après avoir employé beaucoup de temps et de dépenses sans avoir jamais pu rien trouver qui répondît à son attente, la pauvre misérable s’attrista fort et passa plusieurs nuits sans dormir. Quelquefois il sortait seul de la ville, afin de pouvoir plus commodément songer et s’imaginer quelque matière assurée pour faire réussir son travail. Un jour qu’il se promenait et qu’il était tellement enseveli dans ses profondes spéculations qu’il en était presque en extase, il arriva jusqu’à une certaine forêt très verte et très abondante en toutes choses, dans laquelle il y avait des minières minérales et métalliques , et une grande quantité d’oiseaux et animaux de toutes sortes ; les arbres, les herbes et les fruits y étaient en abondance. Il y avait plusieurs aqueducs, car on ne pouvait avoir de l’eau en ces lieux si elle n’y était conduite de différents endroits, par l’adresse de plusieurs artistes, au moyen de plusieurs instruments et divers canaux. La meilleure, la principale et la plus claire était celle que l’on tirait des rayons de la Lune ; et cette excellente eau était réservée pour la nymphe de cette forêt ; On voyait en ce même lieu des moutons et des taureaux qui paissaient. Il y avait aussi deux jeunes pasteurs, que l’Alchymiste interrogea en cette manière : A qui appartient (dit-il) cette forêt ? C’est le jardin et la forêt de notre Nymphe Vénus, répondirent-ils. Ce lieu était fort agréable à l’Alchymiste ; et il s’y promenait çà et là, mais il songeait toujours à son Soufre. Enfin, s’étant lassé à force de promenades, ce misérable s’assit sous un arbre, à côté du canal : là, il commença à se lamenter amèrement et à déplorer le temps, la peine et les grandes dépenses qu’il avait follement employés sans aucun fruit (car il n’était pas méchant autrement, et il ne faisait tort qu’à soi-même). Il parla de cette sorte : Que veut dire cela ? Tous les Philosophes disent que c’est une chose commune, vile et facile : et moi, qui suis homme docte, je ne puis comprendre quelle est cette misérable Pierre. Et, se plaignant ainsi, il commença à injurier le Soufre, à cause qu’il avait en vain dépenser tant de biens, consommer tant de temps et employer tant de peine. Le Soufre était bien aussi en cette forêt, mais l’Alchymiste ne le savait pas. Tandis qu’il se lamentait, il entendit comme la vois d’un vieillard qui lui dit : Mon ami, pourquoi maudis-tu le Soufre ? L’Alchymiste regardant de toutes parts autour de lui et ne voyant personne, il fut épouvanté. Cette voix lui dit derechef : Mon ami, pourquoi t’attristes-tu ? L’Alchymiste reprenant son courage : Tout ainsi, Monsieur (dit-il) , que celui qui a faim ne songe qu’au pain ; de même je n’ai d’autre pensée qu’à la Pierre des Philosophes.

La Voix. Et pourquoi maudis-tu le Soufre ?

L’Alchymiste. Seigneur, j’ai cru que c’était la première matière de la Pierre Philosophale ; c’est la raison pour laquelle j’ai travaillé sur lui pendant plusieurs années : j’y ai beaucoup dépensé, et je n’ai pu trouver cette Pierre.

La Voix. Mon Ami, j’ai bien connu que le Soufre est le vrai et principal sujet de la Pierre des Philosophes : mais pour toi, je ne te connais point et ne puis rien comprendre à ton travail ni à ton dessein. Tu as tort de maudire le Soufre, parce qu’étant emprisonné il ne peut pas être favorable à toutes sortes de gens, vu qu’il est dans une prison très obscure, les pieds liés, et qu’il ne sort que là où les gardes le veulent porter.

L’Alchymiste. Et pourquoi est-il emprisonné ?

La Voix. Parce qu’il voulait obéir à tous les Alchymistes et faire tout cc qu’ils voulaient, contre la volonté de sa mère qui lui avait commandé de n’obéir seulement qu’à ceux qui la connaissaient. C’est pourquoi elle le fit mettre en prison et commanda qu’on lui liât les pieds, et lui ordonna des gardes afin qu’il ne pût aller en aucune part sans leur su et leur volonté.

L’Alchymiste. Ô misérable ! c’est ce qui est cause qu’il n’a pu me secourir : vraiment, sa mère lui fait grand tort. Mais quand sortira-t-il de ces prisons ?

La Voix. Mon Ami, le Soufre des Philosophes n’en peut sortir qu’avec un très long temps et avec de très grands labeurs.

L’Alchymiste. Seigneur, qui sont ceux qui le gardent ?

La Voix. Mon Ami, ses gardes sont du même genre que lui mais ce sont des tyrans.

L’Alchymiste. Mais vous, qui êtes-vous ? et comment vous appelez-vous ?

La Voix. Je suis le juge et le geôlier de ces prisons ; et mon nom est saturne.

L’Alchymiste. Le Soufre est donc détenu dans vos prisons ?

La Voix. Le Soufre est véritablement détenu dans mes prisons, mais il a d’autres gardes.

L’Alchymiste. Et que fait-il dans les prisons ?

La Voix. Il fait tout ce que ses gardes veulent.

L’Alchymiste. Mais que sait-il faire ?

La Voix. C’est un artisan qui fait mille œuvres différentes ; c’est le cœur de toutes choses : il sait améliorer les métaux, corriger les minières ; il donne l’entendement aux animaux ; il sait produire toutes sortes de fleurs aux herbes et aux arbres ; il domine sur toutes ces choses ; c’est lui qui corrompt l’air et qui, puis après, le purifie ; c’est l’auteur de toutes les odeurs du monde et le peintre de toutes les couleur.

L’Alchymiste. De quelle matière fait-il les fleurs ?

La Voix. Ses gardes lui fournissent les vases et la matière : le Soufre la digère et, selon la diversité de la digestion qu’il en fait et eu égard au poids, il en produit diverses fleurs et plusieurs odeurs.

L’Alchymiste. Seigneur, est-il vieux ?

La Voix. Mon Ami, sache que le Soufre est la vertu de chaque chose : c’est le puîné, mais le plus vieux de tous, le plus fort et le plus digne ; c’est un enfant obéissant.

L’Alchymiste. Seigneur, comment le connaît-on ?

La Voix. Par des manières admirables ; mais il se fait connaître ès animaux par leur raison vitale, ès métaux par leur couleur, ès végétaux par leur odeur : sans lui, sa mère ne peut rien faire.

L’Alchymiste. Est-il seul héritier, ou s’il a des frères ?

La Voix. Mon Ami, sa mère a seulement un fils de cette nature, ses autres frères sont associés des méchants ; il a une sœur qu’il aime et de laquelle il est aimé réciproquement ; car elle est comme sa mère.

L’Alchymiste. Seigneur, est-il partout, et en tous lieux, d’une même forme ?

La Voix. Quant à sa nature, elle est toujours une et d’une même forme ; mais il se diversifie dans les prisons : toutefois, son cœur est toujours pur, mais ses habits sont maculés.

L’Alchymiste. Seigneur, a-t-il été quelquefois libre ?

La Voix. Oui, certes, il a été très libre, principalement du vivant de ces Hommes sages qui avaient une grande amitié avec sa mère.

L’Alchymiste. Et qui ont été ceux-là ?

La Voix. Il y en a une infinité. Hermès, qui était une même chose avec sa mère, a été de ce nombre. Après lui ont été plusieurs rois, princes, et beaucoup d’autres Sages tels qu’étaient en ces temps-là Aristote, Avicenne et autres, lesquels ont délivré le Soufre : car tous ceux-là ont su délier les liens qui tenaient le Soufre garrotté.

L’Alchymiste. Seigneur, que leur a-t-il donné pour l’avoir mis en liberté ?

La Voix. Il leur a donné trois royaumes. Car, quand quelqu’un le sait dissoudre et délivrer de prison, il subjugue ses gardes (qui maintenant le gouvernent en son royaume), il les lie, et les livre et assujettit à celui qui l’a délivré, et lui donne aussi leurs royaumes en possession. Mais ce qui est de plus grand, c’est qu’en son royaume il y a un miroir dans lequel on voit tout le monde. Quiconque regarde en ce miroir, il peut voir et apprendre les trois parties de la sapience de tout le mode ; et, de cette manière, il deviendra très savant en ces trois règnes, comme ont été Aristote, Avicenne et plusieurs autres, lesquels, aussi bien que leurs prédécesseurs, ont vu dans ce miroir comment le monde a été créé. Par son moyen, ils ont appris les influences des corps célestes sur les inférieurs, et de quelle façon la Nature compose les choses par le poids du Feu ; ils ont appris encore le mouvement du Soleil et de la Lune ; mais principalement ce mouvement universel par lequel sa mère est gouvernée. C’est par lui qu’ils ont connu les degrés de chaleur, de froideur, d’humidité et de sécheresse, et les vertus des herbes de toute autre chose : à raison de quoi ils sont devenus très bons Médecins. Et certainement un Médecin ne peut pas être habile et solide en son Art, s’il n’a appris, non pas des livres de Galien ou d’Avicenne, mais de la fontaine de la Nature, à connaître la raison pour laquelle cette herbe est telle ou telle, pourquoi elle est chaude ou sèche, ou humide en tel degré : et c’est de là que les Anciens ont tiré leur connaissance. Ils ont diligemment considéré toutes ces choses et les ont laissées par écrit à leurs successeurs, afin d’attirer les Hommes à de plus hautes méditations et leur apprendre à délivrer le Soufre et dissoudre ses liens. Mais les Hommes de ce siècle ont pris leurs écrits pour un fondement final et ne veulent pas porter leur recherche plus outre : ils se contentent de savoir dire qu’Aristote ou Galien l’ont aussi écrit.

L’Alchymiste. Et que dites-vous, Seigneur ! peut-on connaître une herbe sans herbier ?

La Voix. Les anciens Philosophes ont puisé toutes leurs recettes de la fontaine même de la Nature.

L’Alchymiste. Seigneur, comment cela ?

La Voix. Sache que toutes les choses qui sont dans la Terre et sur la Terre sont engendrées et produites par les trois Principes, mais quelquefois par deux, auxquels toutefois le troisième est adhérent. Celui donc qui connaîtra les trois Principes et leurs poids, de même que la Nature les a conjoints, il pourra facilement connaître, selon le plus ou le moins de leur coction, les degrés du Feu dans chaque sujet, et s’il a été bien, ou mal, ou médiocrement cuit : car ceux qui connaissent les trois Principes connaissent aussi tous les végétaux.

L’Alchymiste. Et comment cela ?

La Voix. Par la vue, par le goût et par l’odorat ; car dans ces trois sens sont terminés les trois Principes des choses, et le degré de leur décoction.

L’Alchymiste. Seigneur, ils disent que le Soufre est une Médecine.

La Voix. Il est la Médecine et le Médecin lui-même, et il donne pour reconnaissance son sang, (lui est une Médecine à celui qui le délivre de prison.

L’Alchymiste. Seigneur, combien peut vivre celui qui possède cette Médecine universelle ?

La Voix. Jusqu’au terme de la mort : toutefois, il en faut user sagement, car plusieurs savants sont morts avant le terme de leur vie ; par l’usage de cette Médecine.

L’Alchymiste. Que dites-vous, Monseigneur ? est-ce un venin ?

La Voix. Ne savez-vous pas qu’une grande flamme de feu en consume une petite ? Plusieurs de ces Philosophes, ayant appris cet Art au moyen des enseignements qui leur avaient été donnés par les autres, n’ont pas d’eux-mêmes recherché si profondément la vertu de cette Médecine ; ils ont cru que plus cette Médecine était puissante et subtile, elle était aussi plus propre pour donner la santé, que si un grain de cette Médecine pénètre une grande quantité de métal, à plus forte raison s’insinue-t-elle dans toutes les parties du corps humain.

L’Alchymiste. Seigneur, comment donc en doit-on user ?

La Voix. Plus elle est subtile, moins il en faut prendre, de crainte qu’elle n’éteigne la chaleur naturelle : il en faut user si discrètement qu’elle nourrisse et corrobore notre chaleur et non pas qu’elle la surmonte.

L’Alchymiste. Seigneur, je sais bien faire cette Médecine.

La Voix. Tu es bien heureux si tu la sais faire ; car le sang du Soufre est cette intrinsèque vertu et siccité qui convertit et congèle l’argent-vif et tous les autres métaux en Or pur, et qui donne la santé au corps humain.

L’Alchymiste. Je sais faire l’huile de Soufre, qui se prépare avec des cristaux calcinés : j’en sais encore sublimer une autre par la campane.

La Voix. Vraiment, tu es aussi un des Philosophes de cette belle assemblée, car tu interprètes très bien mes paroles, de même (si je ne me trompe) que celles de tous les Philosophes.

L’Alchymiste. Seigneur, cette huile n’est-ce pas le sang du Soufre ?

La Voix. Ô mon Ami. Il n’y a que ceux qui savent délivrer le Soufre de ses prisons qui peuvent tirer le sang du Soufre.

L’Alchymiste. Seigneur, le Soufre peut-il quelque chose ès métaux ?

La Voix. Je l’ai dit qu’il sait tout faire : toutefois, il a encore plus de pouvoir sur les métaux que sur toute autre chose : mais, à cause que ses gardes savent qu’il en peut aisément sortir, ils le gardent étroitement en de très fortes prisons, de manière qu’il ne peut respirer ; car ils craignent qu’il n’arrive au palais du Roi.

L’Alchymiste. Seigneur, le Soufre est-il de la sorte étroitement emprisonné dans tous les métaux ?

La Voix. Il est emprisonné dans tous les métaux, mais d’une différente manière : il n’est pas si étroitement enfermé dans les uns que dans les autres.

L’Alchymiste. Seigneur, et pourquoi est-il retenu dans les métaux avec tant de tyrannie ?

La Voix. Parce que, s’il était parvenu à son palais royal, il ne craindrait plus ses gardes. Car pour lors il pourrait regarder par les fenêtres avec liberté et se faire voir à tous, parce qu’il serait dans son propre règne, quoiqu’il n’y fût pas encore dans l’état le plus puissant auquel il désire arriver.

L’Alchymiste. Seigneur, que mange-t-il ?

La Voix. Le vent est sa viande ; lorsqu’il est libre, il mange du vent cuit ; et lorsqu’il est en prison, il est contraint d’en manger du cru.

L’Alchymiste. Seigneur, pourrait-on réconcilier l’inimitié qui est entre lui et ses gardes ?

La Voix. Oui, si quelqu’un était assez prudent pour cet effet.

L’Alchymiste. Pourquoi ne leur parle-t-il point d’accord ?

La Voix. Il ne le saurait faire de lui-même, car incontinent il entre en colère et en furie contre eux.

L’Alchymiste. Que n’interpose-t-il donc un tiers pour moyenner une paix ?

La Voix. Celui qui pourrait faire cette paix entre eux serait, à la vérité, le plus heureux de tous les hommes et digne d’une éternelle mémoire : mais cela ne peut arriver que par le moyen d’un homme très sage, qui aurait intelligence avec la mère du Soufre et traiterait avec elle. Car, s’ils étaient une fois amis, l’un n’empêcherait point l’autre ; mais leurs forces étant unies ensemble, ils produiraient des choses immortelles. Certainement celui qui ferait cette réconciliation serait recommandable à toute la postérité et son nom devrait être consacré à l’éternité.

L’Alchymiste. Seigneur, je terminerai bien les différends qu’ils ont entre eux, et je délivrerai bien le Soufre hors de sa prison : car, d’ailleurs, je suis homme très docte et très sage ; je suis encore bon praticien, principalement lorsqu’il est question de traiter quelque accord.

La Voix. Mon Ami, je vois bien que tu es assez grand et que tu as une grande tête : mais je ne sais pas si tu pourras faire ce que tu dis.

L’Alchymiste. Seigneur, peut-être ignorez-vous le savoir des Alchymistes : ils sont toujours victorieux en matière d’accommodements ; et, en vérité, je ne tiens pas la dernière place parmi eux, pourvu que les ennemis du Soufre veuillent m’entendre pour moyenner cette paix : assurez-vous que, s’ils traitent, ils perdront leur cause. Seigneur, croyez-moi, les Alchymistes savent faire des accords. Le Soufre sera bientôt délivré de sa prison, si ses ennemis veulent seulement traiter avec moi.

La Voix. Votre esprit me plaît, et j’apprends que vous êtes Homme de réputation.

L’Alchymiste. Seigneur, dites-moi encore si cela est le vrai Soufre des Philosophes.

La Voix. Vraiment ce que vous me montrez est bien du Soufre ; mais c’est à vous à savoir si c’est le Soufre des Philosophes, car je vous en ai assez parlé.

L’Alchymiste. Seigneur, si je trouvais ses prisons, le pourrais-je faire sortir ?

La Voix. Si vous le savez, vous le pourrez facilement faire, car il est plus aisé de le délivrer que de le trouver.

L’Alchymiste. Seigneur, je vous en prie, dites-moi encore : si je le trouvais, en pourrais-je faire la Pierre des Philosophes ?

La Voix. Ô mon Ami ! ce n’est pas à moi à le deviner, mais pensez-y vous-même. Je vous dirai néanmoins que, si vous connaissez sa mère et que vous la suiviez, après avoir délivré le Soufre, incontinent la Pierre se fera.

L’Alchymiste. Seigneur, dans quel sujet se trouve ce Soufre ?

La Voix. Sache pour certain que ce Soufre est doué d’une grande vertu ; sa minière sont toutes les choses du monde, car il se trouve dans les métaux, dans les herbes, les arbres, les animaux, les pierres, les minières, etc.

L’Alchymiste. Et qui diable le pourra trouver, étant caché entre tant de choses et tant de divers sujets ? Dites-moi, quelle est la matière de laquelle les Philosophes extraient leur Soufre ?

La Voix. Mon Ami, vous en voulez trop savoir : toutefois, pour vous contenter, sachez que le Soufre est partout et en tout sujet. Il a néanmoins certains palais où il a accoutumé de donner audience aux Philosophes : mais les Philosophes l’adorent, quand il nage dans sa propre mer et qu’il joue avec Vulcan ; et ils s’approchent de lui, lorsqu’ils le voient vêtu d’un très chétif habit pour n’être point connu.

L’Alchymiste. Seigneur, ce n’est point à moi de le chercher en la mer, vu qu’il est caché ici plus prochainement.

La Voix. Je t’ai dit que ses gardes l’ont mis en des prisons très obscures afin que tu ne le puisses voir, car il est en un seul sujet : mais si tu ne l’as pas trouvé dans ta maison, à grand-peine le trouveras-tu dans les forêts. Néanmoins, afin que tu ne perdes pas l’espérance dans la recherche que tu en fais, je te jure saintement qu’il est très parfait en l’Or et en l’Argent, mais qu’il est très facile en l’argent-vif.

L’Alchymiste. Seigneur, je ferais bien de bon cœur la Pierre Philosophale.

La Voix. Voilà un bon souhait ; le Soufre voudrait bien aussi être délivré.

Et ainsi Saturne s’en alla. L’Alchymiste, déjà lassé, fut surpris d’un profond sommeil durant lequel cette vision lui apparut. Il vit en cette forêt une fontaine pleine d’eau, autour de laquelle le Sel et le Soufre se promenaient, contestant l’un contre l’autre, jusqu’à ce qu’enfin ils commencèrent à se battre. Le Sel porta un coup incurable au Soufre et, au lieu de sang, il sortit de cette blessure une eau blanche comme du lait, laquelle s’accrut en un grand fleuve. On vit sortir pour lors de cette forêt Diane Vierge très belle, qui commença à se laver dans ce fleuve. Un prince, qui était un homme très fort, et plus grand que tous ses serviteurs, passant en cet endroit, la vit, et admira sa beauté : et à cause qu’elle était de même nature que lui, il fut épris de son amour ; de même qu’elle, en le voyant, brûla réciproquement d’amour pour lui : c’est pourquoi, tombant comme en défaillance, elle se noya. Ce que le prince apercevant, il commanda à ses serviteurs de l’aller secourir ; mais ils appréhendèrent tous d’approcher de ce fleuve. Ce prince, adressant ses paroles à eux, leur dit : Pourquoi ne secourez-vous pas cette Vierge Diane ? Ils lui répondirent : Seigneur, il est vrai que ce fleuve est petit et comme desséché, mais il est très dangereux ; car une fois nous le voulûmes traverser à votre déçu, et à grand-peine pûmes-nous éviter la mort éternelle : nous savons encore que quelques-uns de nos prédécesseurs ont péri en cet endroit. Pour lors ce prince ayant quitté son gros manteau, tout armé comme il était, se jeta dans le fleuve pour secourir la très belle Diane. Il lui tendit la main, qu’elle prit ; et, se voulant sauver par ce moyen, elle attira le prince avec elle, de manière qu’ils se noyèrent tous deux.

Peu de temps après, leurs âmes sortirent du fleuve, voltigèrent autour et se réjouirent, disant : Cette sublimation nous a été favorable, car sans elle nous n’eussions pu sortir de nos corps infects. L’Alchymiste interrogea ces âmes et leur demanda : Retournerez-vous encore quelque jour dans vos corps ? Les âmes lui répondirent : Oui, mais non pas dans des corps si souillés ; ce sera quand ils seront purifiés et lorsque ce fleuve sera desséché par la chaleur du Soleil, et que cette province aussi aura été bien souvent examinée par l’air.

L’Alchymiste. Et que ferez-vous cependant ?

Les âmes. Nous ne cesserons de voltiger sur le fleuve, jusqu’à ce que ces nuages et tempêtes cessent. Cependant l’Alchymiste, s’étant encore endormi, fit un agréable songe de son Soufre : il lui sembla voir arriver en ce lieu plusieurs autres Alchymistes qui cherchaient aussi du Soufre ; et ayant trouvé en la fontaine le cadavre ou corps mort du Soufre que le Sel avait tué, ils le partagèrent entre eux : ce que notre Alchymiste voyant, il en prit aussi sa part ; et ainsi chacun retourna en sa maison. Ils commencèrent dès lors à travailler sur ce Soufre et n’ont point cessé jusqu’à présent. Saturne vint à la rencontre de cet Alchymiste et lui demanda : Eh bien, mon Ami, comment vont tes affaires ?

L’Alchymiste. Ô Seigneur ! j’ai vu une infinité de choses admirables, à peine ma femme les croira-t-elle : j’ai maintenant trouvé le Soufre ; je vous prie, Monseigneur, aidez-moi, et nous ferons cette Pierre.

Saturne. Mon Ami, je t’aiderai très volontiers : prépare-moi donc l’argent-vif et le Soufre, et donne-moi un vaisseau de verre.

L’Alchymiste. Seigneur, n’ayez rien à démêler avec le Mercure, car c’est un pendard qui s’est moqué de mon compagnon et de plusieurs autres qui ont travaillé sur lui.

Saturne. Sache que les Philosophes n’ont jamais rien fait sans l’argent-vif, au règne duquel le Soufre est déjà roi ; ni moi pareillement je ne saurais rien faire sans lui.

L’Alchymiste. Seigneur, faisons la Pierre du Soufre seul.

Saturne. Je veux bien, mon Arni ; mais tu verras ce qui en arrivera.

Ils prirent donc le Soufre que l’Alchymiste avait trouvé et firent tout suivant la volonté de l’Alchymiste. Ils commencèrent à travailler sur ce Soufre, le traitèrent en mille façons différentes et le mirent en des admirables fourneaux que l’Alchymiste avait en grand nombre. Mais la fin de leurs labeurs n’ont été que de petites allumettes soufrées, que les vieilles vendent publiquement pour allumer du feu. Ils recommencèrent de nouveau à sublimer le Soufre et à le calciner au gré de l’Alchymiste ; mais quelque chose qu’ils aient fait, il leur est toujours arrivé à la fin de leur travail comme auparavant : car tout ce que l’Alchymiste voulut faire de ce Soufre ne se tourna encore qu’en allumettes. Il dit à Saturne : Seigneur, je vois bien que pour vouloir suivre ma fantaisie, nous ne ferons jamais rien qui vaille : c’est pourquoi je vous prie de travailler tout seul à votre volonté et comme vous le savez. Alors Saturne lui dit : Regarde-moi donc faire, et apprends. Il prit deux argents-vifs de diverse substance, mais d’une même racine, que Saturne lava de son urine, et les appela les Soufres des Soufres : puis mêla le fixe avec le volatil ; et après en avoir fait une composition, il les mit en un vaisseau propre ; et, de crainte que le Soufre ne s’enfuît, il lui donna un garde, puis après il le mit ainsi dans le bain d’un feu très lent, comme la matière le requérait, et acheva très bien son ouvrage. Ils firent donc la Pierre des Philosophes, parce que d’une bonne matière il en vient une bonne chose.

Je vous laisse à penser si notre Alchymiste fut bien aise, puisque (pour vous achever) il prit la Pierre avec le verre ; et admirant la couleur qui était rouge comme du sang, ravi d’une extrême joie, il commença à sauter si fort qu’en sautant le vaisseau où la Pierre était tomba à terre et se cassa ; et en même temps Saturne disparut. L’Alchymiste, étant réveillé, ne trouva rien entre ses mains que les allumettes qu’il avait faites de son Soufre, car la Pierre s’envola et vole encore aujourd’hui ; à raison de quoi on l’appelle volatile. De manière que le pauvre Alchymiste n’a appris par sa vision qu’à faire des allumettes soufrées ; et, voulant acquérir la Pierre des Philosophes ; il a si bien opéré qu’à la fin il y acquit une Pierre dans les reins, pour laquelle guérir il voulut devenir Médecin. Et après s’être désisté de rechercher la Pierre, il passa enfin sa vie comme tous les autres Chymistes ont accoutumé de faire, dont la plupart deviennent Médecins ou Smegmatistes, c’est-à-dire savonniers. Et c’est ce qui arrive ordinairement à tous ceux qui entreprennent de travailler en cet Art sans aucun fondement, sur ce qu’ils en ont ouï dire ou qu’ils en ont appris fortuitement par des recettes qui leur en ont été données et par des raisonnements dialectiques.

Il y en a quelques autres qui, n’ayant pas réussi dans leurs opérations, disent : Nous sommes sages, et nous avons appris que chaque chose se multiplie par le moyen de la semence : s’il y avait quelque vérité en cette Science, nous en fussions plutôt venus à bout que tous les autres. Et ainsi pour cacher leur honte, et pour ne point passer pour des gens indignes et opiniâtres comme ils sont, ils la blâment. Que s’ils n’ont pas atteint le but qu’ils s’étaient proposé et qu’ils ont tant désiré, ce n’est pas que la Science ne soit véritable, mais c’est qu’ils ont (comme les autres} la cervelle trop mal timbrée et le jugement trop faible pour comprendre un si haut mystère. Cette Science n’est pas propre à ces sortes de gens, et elle leur fait toujours voir qu’ils ne sont qu’au commencement lorsqu’ils croient être à la fin.

Quant à nous, nous confessons que cet Art n’est rien pour tout à l’égard de ceux qui en sont indignes, parce qu’ils n’en viendront jamais à bout ; mais nous assurons aux amateurs de la vertu, aux vrais inquisiteurs et à tous les enfants de la Science, que la transmutation métallique est une chose vraie et très vraie, comme nous l’avons fait voir par expérience à diverses personnes de haute et basse condition, et qui méritaient bien voir par effet la preuve de cette vérité. Ce n’est pas que nous ayons fait cette Médecine de nous-même, mais c’est un intime Ami qui nous l’a donnée : elle est néanmoins très vraie. Nous avons suffisamment instruit les inquisiteurs de cette Science pour en faire la recherche. Que si nos écrits ne leur plaisent pas, qu’ils aient recours à ceux des autres auteurs qu’ils trouveront moins solides. Que ce soit toutefois avec cette précaution : qu’ils considèrent si ce qu’ils liront est possible à la Nature ou non, afin qu’ils n’entreprennent rien qui soit contre le pouvoir de la Nature, car s’ils pensent faire autre chose, ils s’y trouveront trompés. S’il était écrit dans les cahiers des Philosophes que le Feu ne brûle point, il n’y faudrait pas ajouter foi, car c’est une chose qui est contre Nature ; au contraire, si l’on trouvait écrit que le Feu échauffe et qu’il dessèche, il le faut croire, parce que cela se fait naturellement, et la Nature s’accorde toujours bien avec un bon jugement : il n’y a rien de difficile dans la Nature, et toute vérité est simple. Qu’ils apprennent aussi à connaître quelles choses en la Nature ont plus de conformité et plus de proximité ensemble ; ce qu’ils pourront plus aisément apprendre par nos Ecrits que par aucun autre ; pour le moins telle est notre croyance ; car nous estimons en avoir assez dit, jusqu’à ce qu’il en vienne peut-être un autre après nous, qui écrive entièrement la manière de faire cette Pierre, comme s’il voulait enseigner à faire un fromage avec la crème du lait : ce qui ne nous est pas permis de faire.

Mais afin que nous n’écrivions pas seulement pour ceux qui commencent, et que nous disions quelque chose en votre faveur, vous qui avez déjà essuyé tant de peines et de travaux : Avez-vous vu cette région, en laquelle le mari a épousé sa femme et dont les noces furent faites en la maison de la Nature ? Avez-vous entendu comme le vulgaire a aussi bien vu ce Soufre que vous-mêmes, qui avez pris tant de soins à le chercher ? Si vous voulez donc que les vieilles femmes mêmes exercent votre Philosophie, montrez la déalbation de ces Soufres et dites ouvertement au commun peuple : Venez et voyez : l’eau est déjà divisée et le Soufre en est sorti ; il retournera blanc et coagulera les eaux.

Brûlez donc le Soufre tiré du Soufre incombustible ; lavez-le, blanchissez-le et le rubifiez, jusqu’à ce que le Soufre soit fait Mercure, et que le Mercure soit fait Soufre : puis après, enrichissez-le avec l’âme de l’or. Car si du Soufre vous n’en tirez le Soufre par sublimation, et le Mercure du Mercure, vous n’avez pas encore trouve cette eau qui est la quintessence distillée et créée du Soufre et du Mercure. Celui-là ne montera point, qui n’a pas descendu. Plusieurs perdent en la préparation ce qui est de plus remarquable en cet Art : car notre Mercure s’aiguise par le Soufre, autrement il ne nous servirait de rien. Le prinee est misérable sans son peuple, aussi bien que l’Alchymiste sans le Soufre et le Mercure. J’ai dit, si vous m’avez entendu.

L’Alchymiste étant de retour à son logis, déplorait la Pierre qu’il avait perdue et s’attristait particulièrement de n’avoir pas demandé à Saturne quel était ce Sel qui lui avait apparu dans son songe, vu qu’il y a tant de sortes de Sels. Puis il dit le reste à sa femme.

Conclusion

Tout Inquisiteur de cet Art doit, en premier lieu, examiner d’un mûr et sain jugement la création des quatre Eléments, leurs opérations, leurs vertus et leurs actions : car s’il ignore leur origine et leur nature, il ne parviendra jamais à la connaissance des Principes et ne connaîtra point la vraie matière de la Pierre ; moins encore pourra-t-il arriver à une bonne fin, parce que toute fin est déterminée par son Principe. Quiconque connaît bien ce qu’il commence, connaîtra bien aussi ce qu’il achèvera. L’origine des Eléments est le Chaos duquel Dieu, Auteur de toutes choses, a créé et séparé les Eléments : ce qui n’appartient qu’à lui seul. Des Eléments, la Nature a produit les Principes des choses : ce qui n’appartient qu’à la Nature seule, par le vouloir de Dieu. Des Principes, la Nature a puis après produit les minières et toutes les autres choses. Et enfin, de ces mêmes Principes, l’artiste, en imitant la Nature, peut faire beaucoup de choses merveilleuses. Car de ces Principes que sont le Sel, le Soufre et le Mercure, la Nature produit les minières, les métaux et toutes sortes de choses ; et ce n’est pas simplement et immédiatement des Eléments qu’elle produit les métaux, mais c’est par les Principes, qui lui servent de moyen et de milieu entre les Eléments et les métaux.

Si donc la Nature ne peut rien produire des quatre Eléments sans les trois Principes, beaucoup moins l’Art le pourra-t-il faire. Et ce n’est pas seulement en cet exemple qu’il faut garder une moyenne disposition, mais encore dans tous les procédés naturels. C’est pourquoi nous avons dans ce Traité assez amplement décrit la nature des Eléments, leurs actions et leurs opérations, comme aussi l’origine des Principes ; et nous en avons parlé plus clairement qu’aucun des Philosophes qui nous ont précédé, afin que le bon Inquisiteur de cette Science puisse facilement considérer en quel degré la Pierre est distante des métaux, et les métaux des Eléments. Car il y a bien de la différence entre l’Or et l’Eau ; mais elle est moindre entre l’Eau et le Mercure. Elle est encore plus petite entre l’Or et le Mercure, parce que la maison de l’Or, c’est le Mercure ; et la maison du Mercure, c’est l’Eau. Mais le Soufre est celui qui coagule le Mercure : que si la préparation de ce Soufre est très difficile, l’invention l’est encore davantage, puisque tout le secret de cet Art consiste au Soufre des Philosophes, qui est aussi contenu ès entrailles du Mercure. Nous donnerons quelque jour, dans notre troisième Principe du Sel, la préparation de ce Soufre, sans laquelle il nous est inutile, parce que nous ne traitons pas en cet endroit de la pratique du Soufre, ni de la manière de nous en servir, mais seulement de son origine et de sa vertu.

Toutefois, nous n’avons pas composé ce Traité pour vouloir reprendre les anciens Philosophes, mais plutôt pour confirmer tout ce qu’ils ont dit, ajoutant seulement à leurs écrits ce qu’ils ont omis : parce que tout Philosophes qu’ils soient, ils sont hommes comme les autres et qu’ils n’ont pas pu traiter de toutes les choses exactement, d’autant qu’un seul homme ne peut pas suffisamment fournir à toutes sortes de choses. Quelques-uns aussi de ces grands personnages ont été déçus par des miracles, en telle manière qu’ils se sont écartés de la voie de la Nature et n’ont pas bien jugé de ses effets : comme nous lisons en Albert le Grand, Philosophe très subtil, qui écrit que, de son temps, on trouva dans un sépulcre des grains d’Or entre les dents d’un homme mort. II n’a pas bien pu rencontrer la raison certaine de ce miracle, puisqu’il a attribué cet effet à une force minérale qu’il croyait être en l’homme, ayant fondé son opinion sur ce dire de Morienes : Et cette matière, Ô Roy ! Se tire de votre corps. Mais c’est une grande erreur, et il n’en va pas ainsi que la pensé Albert le Grand : car Morienes a voulu entendre ces choses philosophiquement, d’autant que la vertu minérale, de même que l’animale, demeurent chacune dans son règne, suivant la distinction et la division que nous avons faites de toutes les choses en trois règnes dans notre petit livre des douze Traités, parce que chacun de ces règnes se conserve et se multiplie en soi-même, sans emprunter quelque chose d’étranger et qui soit pris d’un autre règne. Il est bien vrai qu’au règne animal il y a un Mercure qui sert comme de matière, et un Soufre qui tient lieu de forme ou de vertu : mais ce sont matière et vertu animales et non pas minérales.

S’il n’y avait pas en l’homme un Soufre animal, c’est-à-dire une vertu ou une force sulfurée, le sang qui est son Mercure ne se coagulerait pas et ne se convertirait pas en chair et en os. De même, si dans le règne végétable il n’y avait point de vertu de Soufre végétable, l’Eau ou le Mercure ne se convertirait point en herbes et en arbres. Il faut entendre le même au règne minéral, dans lequel le Mercure minéral ne se coagulerait jamais sans la vertu du Soufre minéral. A la vérité, ces trois règnes ni ces trois Soufres ne diffèrent point en vertu, puisque chaque Soufre a le pouvoir de coaguler son Mercure, et que chaque Mercure peut être coagulé par son Soufre : ce qui ne peut se faire par aucun autre Soufre, ni par aucun autre Mercure étranger, c’est-à-dire qui ne soit pas de même règne.

Si on demande donc la raison pour laquelle quelques grains d’Or ont été trouvés ou produits dans les dents d’un homme mort, c’est que pendant sa vie, par ordonnance du Médecin, il avait avalé du Mercure ; ou bien il s’était servi du Mercure, ou par onction, ou par turbith, ou par quelque autre manière que ce soit : et la nature du vif-argent est de monter à la bouche de celui qui en use et d’y faire des ulcères par lesquels il s’évacue avec son flegme. Le malade donc étant mort tandis qu’on le traitait, le Mercure ne trouvant point de sortie, il demeura dans la bouche entre les dents, et ce cadavre servit de vase naturel au Mercure : en telle sorte qu’ayant été enfermé par un long espace de temps, et ayant été purifié par le flegme corrosif du corps humain, au moyen de la chaleur naturelle de la putréfaction, il fut enfin congelé en Or par la vertu de son propre Soufre. Mais ces grains d’Or n’eussent jamais été produits dans ce cadavre si, avant sa mort, il ne se fut servi du Mercure minéral.

Nous en avons un exemple très véritable en la Nature, laquelle, dans les entrailles de la Terre, produit du seul Mercure l’Or, l’Argent et tous les autres métaux, suivant la disposition du lieu ou de la matrice où le Mercure entre, parce qu’il a en soi son propre Soufre qui le coagule et le convertit en Or, s’il n’est empêché par quelque accident, soit par le défaut de la chaleur, soit qu’il ne soit pas bien enfermé. Ce n’est donc pas la vertu du Soufre animal qui congèle et convertit le Mercure animal en Or : elle ne peut seulement que convertir le Mercure animal en chair ou en os : car si cette vertu se trouvait dans l’Homme, cette conversion arriverait dans tous les corps, ce qui n’est pas.

Tels et plusieurs autres semblables miracles et accidents qui arrivent, n’étant pas bien considérés par ceux qui en écrivent, font errer ceux qui les lisent. Mais le bon inquisiteur de cette Science doit toujours rapporter toutes choses à la possibilité de la Nature : car si ce qu’il trouve par écrit ne s’accorde point avec la Nature, il faut qu’il le laisse.

Il suffit aux diligents studieux de cet Art d’avoir appris en cet endroit l’origine de ces Principes : car, lorsque le Principe est ignoré, la fin est toujours douteuse. Nous n’avons pas parlé dans ce Traité énigmatiquement à ceux qui recherchent cette Science, mais le plus clairement qu’il nous a été possible et autant qu’il nous est permis de le faire. Que si, par la lecture de ce petit ouvrage, Dieu éclaire l’entendement à quelqu’un, il saura combien les héritiers de cette Science sont redevables à leurs prédécesseurs , puisqu’elle s’acquiert toujours par des esprits de même trempe que ceux qui l’ont auparavant possédée.

Après donc que nous en avons fait une très claire démonstration, nous la remettons dans le sein d Dieu Très-Haut, notre seigneur et Créateur ; et nous recommandons, ensemble tous les bons lecteurs, à sa grâce et à son immense miséricorde. Auquel soit louange et gloire, par les infinis siècles des siècles.

Fin du présent Traité du Soufre