Par un Amateur de la vérité. In12 à Paris chez la veuve de Claude Thboust
La pierre philosophale est la chose du monde la plus recherchée, et la moins connue. Il ya quatre ou cinq mille auteurs qui en ont écrit : Mais pas un n’a traité avec plus de clarté que celui-ci une matière si obscur. Il paroit que le but qu’il s’est proposé est de désabusé les personnes qui par une erreur dont les suites sont très dangereuses, s’engagent à des travaux pénibles et à des frais considérables, pour chercher quelque chose de réel et de solide par un chemin inconnu, qui ne les conduit le plus souvent qu’a leur ruine.
Le monde est plein de ces personnes avides et aveugles. Il est à souhaiter qu’elles fassent leur profit de la lecture de ce livre, puisqu’il n’y en a point de plus capable de les faire retourner sur leurs pas, et quitter une entreprise folle et téméraire en leur montrant clairement, et sans les flatter que ce qu’ils font ne peut jamais réussir selon leurs souhaits.
On y voit les impostures par lesquelles l’auteur a été misérablement amusé pendant plus de seize années, les peines étranges qu’il à prise inutilement, les grandes dépenses qu’il à faites en pure perte : et la plupart de ceux qui travaillent aujourd’hui reconnaitront leurs égarements dans le portrait des siens.
Il raconte qu’en 1656, qu’il n’étoit pas bien habile, un Liégeois lui offrit pour le prix de deux mille écus, un moyen de convertir en vingt quatre heures le vif-argent en argent très fin, sans autre chose qu’une eau qui pouvoit servir plusieurs fois de suite avec un très grand profit. Il lui en fit voir l’expérience ; il prit une bouteille d’environ deux pintes, la remplit presque toute d’une eau qui paraissait claire comme de l’eau de roche ; ayant jeté dans cette eau une once de vif argent, il est vrai qu’en l’espace de vingt quatre heures, sans faire autre chose que de laisser là ce vif argent à froid, il se transforma en argent très fin de coupelle. L’auteur voulut faire cette opération de ses propres mains, et la fit deux fois de suite, et la même chose arriva. Qui n’eut été charmé d’un si beau secret ? Cependant c’étoit une tromperie, et cette eau claire n’étoit qu’une solution d’argent fin, dont le vif–argent attirait environ autant d’argent comme il pesait, lequel à la fonte demeurait seul dans le creuset, le vif-argent s’en allant en fumée avec les esprits de l’eau forte.
Il y en a parmi celle qu’il rapporte de bien plus subtile que celle là, et même deux ou trois de très curieuse, que les honnêtes gens seront très aisé de voir éventées, et qui pourront servir à ceux qui vogue sur une mer si périlleuse, comme de signes sur la carte pour leur montrer les écueils.
Quant à la route qu’il marque ensuite pour la véritable, l’ordre et la méthode qu’il observe pour y conduire, sont d’autant plus à remarquer, qu’ils n’ont rien qui ne soit nouveau. Tout le volume est divisé en quatre livres, dont le premier traite du premier être qui est unique, le second des contrariétés qui sont deux ; le troisième des éléments qui sont quatre, et le quatrième des principes qui sont trois. De sorte que ces quatre livres ont pour objet les quatres premiers nombres 1, 2, 3, 4 lesquels pris ensemble sont le nombre de dix, dans lequel consiste toute la perfection, selon la doctrine de Pythagore. Et ce sont comme dix degrés par lesquels cet auteur prétend qu’on s’élève à la véritable sagesse, c’est-à-dire à la connaissance du Créateur et des créatures, aussi parfaites que des hommes mortels la peuvent avoir.
Au reste, quoiqu’il suive une méthode nouvelle, il prend un grand soin de démontrer que ses sentiments sont les mêmes que ceux des premiers et des plus excellents auteurs qui ont traité ce même sujet ; il cite tous les plus considérables d’entre eux avec la dernière exactitude. En quoi il a cet avantage que si leurs livres étaient perdus, il suffirait d’avoir le sien pour en retrouver les plus importants.
Il explique nettement et naturellement, sans s’écarter du chemin qu’il s’est prescrit, ce qu’il y a de plus difficile dans la matière qu’il a entrepris, comme la vérité de la Pierre, l’unité de la Pierre, la signification des noms étranges et différents qui lui ont été donnés, la manière dont la nature unit avec douceur les choses les plus contraires, et l’aversion qu’elle a pour toute sorte de violence. Il donne plus intelligiblement Qu’aucun autre n’a jamais fait, le régime de l’œuvre des philosophes. Il dit les causes pourquoi leurs vaisseaux se cassent quelques fois, et les moyens d’empêcher ce malheur. Il décrit les qualités des éléments, leurs effets, leurs différences, la production naturelle, et les diverses matrices du sel, du soufre, et du mercure ; tout cela sans rien avancer que sur des démonstrations géométriques, ou sur des expériences de chimie.
On trouvera surtout dans ce livre des choses recherchées et nouvelles sur les œufs et la génération des animaux, sur les divers feux qui se trouvent dans leurs substances, et dans celle des végétaux, et des minéraux : sur la nature des feux souterrains, sur leurs causes et sur leurs effets, tels que sont les tremblements de terre, et sur les diverses sortes de terre qui sont dans le monde ; sur les moyens de tirer le soufre fixe du corps des animaux, et des végétaux, et même du corps des métaux ; sur les sels tant fixes que volatils : Enfin joignant partout la pratique à la théorie, il enseigne d’une manière si nette, que tous le monde les peut faire facilement.
On en jugera par celle-ci, dont il ne parle seulement que par occasion, et en passant. C’est la composition de l’or tonnant, dont peu de grains font autant de bruit que plusieurs livres de poudre à canon. Il ne faut pour le faire que dissoudre de l’or avec de l’eau régale, le précipiter par un esprit d’urine, bien dulcifier le précipité avec de l’eau commune, et le sécher ensuite avec prudence, de peur qu’il n’arrive du malheur en le séchant, parce qu’étant sec il se fond comme la cire, et que c’est en se fondant qu’il fait son opération. Il y a ainsi dans ce livre plusieurs autres manière de faire des opérations, parmi lesquelles quelques unes étoient inconnues jusqu’à présent.
Pour l’auteur, on ne le connoit point. Il a pris un grand soin de se cacher, suivant la coutume de ses semblables ; et tout ce que nous en savons, c’est que c’est un philosophe étranger, et que ces mots qui se lisent au frontispice du livre :
sont l’anagramme de son nom. Mais pour le style on voit sans peine qu’il n’est non seulement pas d’un étranger, mais pas même d’un philosophe alchimiste. Car on remarque que tous les livres du moins François, de ceux de cet art, sont ordinairement d’un style plus châtié, grossier et embarrassant, soit que cela vienne de ce que ces messieurs sont accoutumés à lire de pareils livres, soit que l’application qu’ils ont à leur matière les empêche de prendre garde aux expressions : au lieu que celui-ci est écrit très purement, avec beaucoup de politesse, et une grande netteté. Aussi a–t-on sut que c’est Monsieur l’abbé de Saint Ussans qui a prêté sa plume pour le mettre en l’état ou il paroit.
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